Meung-sur-Loire, la retraite du commissaire Jules Maigret

Georges Simenon est né un 13 février, il y a 120 ans, en 1903. Tout le monde sait que l’écrivain est né en Belgique et que son héros, par lequel il est passé à la postérité, était commissaire au 36 quai des Orfèvres, alors QG de la police judiciaire de Paris. Mais on sait trop peu que Jules Maigret a pris sa retraite à Meung-sur-Loire, dans le Loiret.

Par Izabel Tognarelli

Combien d’écrivains ont pensé à tuer leur héros ? Comme si leur créature était devenue un monstre envahissant leur quotidien, leur collant aux basques comme l’ombre aux semelles. Maurice Leblanc figure parmi les cas les plus célèbres : « Lupin, ce n’est pas moi ! Il me suit partout. Il n’est pas mon ombre, je suis son ombre. C’est lui qui s’assied à cette table quand j’écris. Je lui obéis ». Agatha Christie a aussi été victime de ce phénomène avec Hercule Poirot, qu’elle tenta de mettre en retraite à défaut de le tuer, au grand soulagement de ses éditeurs du monde entier. Le Meurtre de Roger Ackroyd signe son retour aux affaires, un an après Les Quatre (la retraite est courte et les deux opus savoureux !).

Hercule Poirot y apparaît trépignant de rage, faisant voler par-dessus la haie les cucurbitacées auxquelles il pensait vouer l’intégralité de ses vieux jours, manquant de tuer au passage son nouveau voisin, qui se révélera au cœur de l’intrigue. Tout au long de ce roman, le détective sera l’objet de petites moqueries, orchestrées et distillées par sa créatrice qui aurait certainement aimé faire atterrir le potiron à l’origine de tous les maux herculéens tout droit sur la tête du détective, ce gros chat trop souvent mal luné.

La petite maison au sol carrelé de rouge

Jules Maigret a planifié sa retraite (artifice moins risqué pour l’auteur !) dès L’Écluse n°1, paru en 1933, alors que le premier opus de la série était paru deux années plus tôt. Le commissaire, alors en route pour la cinquantaine, avait obtenu de faire valoir ses droits à la retraite pour ses 55 ans. L’année suivante paraît Maigret, 19e opus de la série publiée par Fayard, éditeur initial avec lequel le contrat portait sur 19 romans. Jules Maigret a pris sa retraite et vit avec Madame Maigret dans une petite maison près d’Orléans, tout au bord de la Loire qui, à proximité, forme un tournant. Son neveu, jeune inspecteur de police, vient l’en déloger car, au cours d’une enquête, il a commis une erreur de débutant qui peut lui valoir des conséquences funestes. De la maison ligérienne aux allures de presbytère, l’auteur donne quelques éléments de description : on sait que l’escalier mène de l’étage à la « cuisine basse, au plafond à grosses poutres, au sol carrelé de rouge », et qu’à la huitième marche en descendant, il faut se baisser pour ne pas se cogner la tête à la solive.

A l’instar de ses augustes prédécesseurs, Georges Simenon aurait bien aimé que son héros s’impose un peu moins dans son œuvre afin de pouvoir se consacrer à d’autres projets littéraires. Il faut dire qu’à l’époque, le polar était très déconsidéré, classé dans les « romans de gare », vite lus, vite digérés, vite jetés. Mais tuer Maigret, c’était prendre le risque de tuer la poule aux œufs d’or.

Maigret à Nemours, Montargis, Châteauneuf et Meung

La série des Maigret reprendra dix ans plus tard. Mais reconstituer la carrière du commissaire relève dès lors du jeu de piste tant Georges Simenon zigzague dans le temps et brouille la chronologie. Par exemple, dans Maigret aux assises (publié en 1959 par les Presses de la Cité), le commissaire achète, au cours d’une vente par adjudication, sa maison de Meung, ville dans laquelle, avec Louise son épouse, il avait l’habitude de venir en week-end et de séjourner dans un hôtel. Auparavant, dans la série de nouvelles (une vingtaine) publiée par Gallimard en 1944, le Loiret avait déjà pointé son nez puisque L’auberge aux noyés a pour cadre les bords du Loing, entre Nemours et Montargis. Mais la région orléanaise se précise dans Les larmes de bougies (1936), Ceux du Grand-Café (1938), Melle Berthe et son amant (1938) ainsi que Le notaire de Châteauneuf (1938). Dans les romans Maigret se fâche et Maigret à New-York, publiés en 1947 par les Presses de la Cité, le commissaire est encore et toujours tiré de sa retraite magdunoise !

Plus tard dans Les mémoires de Maigret (1951), le commissaire prend lui-même sa plume pour écrire son autobiographie et rétablir quelques vérités que l’auteur de ses jours avaient « arrangées », artifice d’écrivain et jeu de miroir à la clef. Il y parle de sa maison de Meung où il écrit justement ses mémoires et s’adresse au jeune Sim, devenu Simenon, son ami écrivain. Enfin, par un autre tour de passe-passe dont savent user les auteurs, Georges Simenon écrit à l’attention de M. et Mme Maigret, « retraités à Meung-sur-Loire » une lettre datée du 26 septembre 1979 par laquelle il vient sceller leurs cinquante années de compagnonnage et d’amitié.

En 1969 paraît Maigret et le tueur dont l’action se passe au début des années 60. Or Jules Maigret est né aux alentours de 1885, à Saint-Fiacre : l’enquêteur a donc largement dépassé les 55 ans, âge auquel sa retraite avait été initialement fixée. Par une énième distorsion du temps qui après tout relevait de la liberté de l’auteur, on apprend que l’âge de la retraite des commissaires a été repoussé à 68 ans ! On bloquerait un pays tout entier pour moins que ça…

Georges Simenon a tout juste 20 ans quand il arrive à Paris. Il a une ambition, vivre de sa plume, et un objectif, le journal Le Matin, dont la directrice littéraire n’est autre que Colette. Déjà très prolifique, le jeune Simenon lui présente quelques écrits qu’elle refuse, lui expliquant que ses textes sont trop littéraires : « Surtout pas de littérature ! ».

Un tel conseil peut paraître bien sibyllin de prime abord, mais le jeune Simenon a su l’interpréter et faire sienne cette écriture dépouillée de toute fioriture, qui va droit à l’objectif, alors même que l’écriture de Colette pouvait parfois se mettre à virevolter et s’entortiller comme les vrilles de la vigne. Simenon s’est fait l’observateur de ses contemporains en une écriture quasi-nue ; pour autant, son style n’a rien de plat ni de simpliste. Ce n’est pas un secret d’écrivain, plutôt sa patte ; en l’occurrence, son talent.

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