« Pour la France », mais contre l’armée

« Pour la France » raconte la douleur familiale après la mort d’un Saint-cyrien au cours d’un bizutage. C’est l’histoire vraie du frère du réalisateur, Rachid Hami. De l’Algérie originelle à Taipei, les deux frères ont eu une vie difficile avec un père violent, puis absent en France. Condamnation des bizutages et de l’armée, cette fiction reste trop proche de la réalité difficilement supportable.

Par Bernard Cassat

Les deux frères Ismaël (Karim Leklou) et Aïssa (Shaïn Boumedine). Photo Gophoto/Mizar Films

Hami raconte dans son film Pour la France la terrible histoire de son frère. Ce gamin d’Alger, venu en France pendant la guerre civile, brillant en classe. Il rentre à Sciences Po, part apprendre le chinois à Taipei puis passe le concours de Saint-Cyr et meurt au cours d’un absurde bizutage. A 24 ans ! Le pitch est très sombre. Et Rachid Hami ne fait rien pour l’alléger.

La famille aux personnages complexes lui ouvre heureusement des fenêtres narratives intéressantes. Le père (Samir Guesmi), policier pendant la guerre civile algérienne des années 90, utilise envers ses jeunes fils des méthodes elles aussi policières. Il les jette à l’eau pour leur apprendre à nager, il leur fait passer des interrogatoires pour empêcher leur départ. Il les enlève à la mère qui part en France… enfin il enlève le plus petit et rejette le plus grand. Celui qui aujourd’hui raconte. Et se demande encore pourquoi son père l’a rejeté.

L’affrontement famille-armée

Tout le début du film, Saint-Cyr puis le flash-back algérien, est intenable de violence ; pas de sang, bien sûr, mais une agression permanente contre les enfants et les adultes. Pendant les jours qui suivent, la famille va se débattre avec l’armée pour savoir la vérité, et pour rendre à Aïssa (Shaïn Boumedine) tous les honneurs qui lui sont dus. La mère (Lubna Azabal), personnage magnifique, plie sous la douleur mais ne rompt jamais. Le frère (Karim Leklou), double du réalisateur, se débat dans les souvenirs des relations assez tumultueuses avec son frère, l’absurdité de sa mort et l’omerta que veut imposer l’armée. Un long flash-back retrace sa visite à Taipei, où là aussi la violence surgit et submerge les deux frères.

La mère (Lubna Azabal), Ismaël et le général Caillard (Laurent Lafitte) pendant l’enterrement d’Aïssa. Photo Gophoto/Mizar

Des acteurs formidables

Karim Leklou traduit à merveille la complexité du monde intérieur de son personnage, Ismaël. Regards lourds de condamnation envers l’armée, regards attendris vers sa mère. Son visage à la fois lunaire et fermé, incrédule et abasourdi, exprime sans mots. Une scène étonnante dans un temple à Taipei lui fait retrouver, timidement, des mouvements de prières musulmanes. Rachid Hami voulait que les personnages soient au centre de l’image. Là, c’est vraiment le cas. Comme dans le flash-back algérien, où le père menace Ismaël enfant. Un jeu de champ-contrechamp rend l’affrontement terriblement épuré, visage raviné et austère du père contre visage rond et en pleurs de l’enfant. La mère aussi a une présence à l’image très forte. Son visage presque lisse laisse imaginer la douleur qu’elle vit, que quelques sanglots retiennent à l’intérieur. Tous ces acteurs d’origine algérienne (Slimane Dazi, Lyes Salem), tous excellents, de plus en plus présents à l’écran ces derniers temps, incarnent leur personnage avec une vérité étonnante. Laurent Lafitte en général Caillard, celui qui patronne Saint-Cyr pour ne plus voir la mort, donne une profondeur remarquable à son (petit) rôle.

Une histoire qui colle à la réalité

Rachid Hami n’a peut-être pas su dominer sa rage, par ailleurs totalement compréhensible. Il est resté très près de la réalité. La lourdeur de cette histoire en fait un film difficile à supporter. A aucun moment il n’y a une ouverture pour respirer. Même le voyage à Taipei d’Ismaël, qui aurait pu être une parenthèse heureuse, reste dans le non-dit et finit dans la violence. Pourtant aidé au scénario par Ollivier Pourriol, Rachid Hami, acteur de l’histoire qu’il raconte, a construit un double très proche de lui-même. Que Karim Leklou le fasse vivre de manière autonome ne suffit pas à rendre le film moins tragique. C’est peut-être là la limite des « histoires vraies », tant prisées actuellement par les fictions. Celle-ci est terriblement dure, le film aussi.

 

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