Cette troisième journée de mobilisation contre la réforme des retraites coïncide avec l’ouverture du procès de l’incendiaire de la rue Erlanger, à Paris. Pompiers et policiers ont des métiers particulièrement éprouvants, pourtant le gouvernement songe aussi à leur demander de travailler encore plus longtemps. Témoignages dans le cortège de Montargis…
Par Izabel Tognarelli
Pompiers et policiers n’ont pas pour habitude d’être dans la lumière. Ils n’ont pas le droit de s’exprimer au cours de leur service, ce qui ne les empêche pas d’avoir leurs opinions, qu’ils soient affiliés à un syndicat ou non. Ils n’ont pas non plus le droit de manifester en uniforme. Alors, dans la foule qui a tôt fait de vous anonymiser, on cherche les brassards « sapeurs-pompiers en grève », les banderoles indiquant le nom d’un syndicat de police nationale ou bien de représentants des fonctionnaires territoriaux pour les policiers municipaux.
Quelques uniformes (d’anciennes tenues, pas des tenues de service) permettent de repérer le groupe avec lequel nous avions eu un premier échange lors de la manifestation du mardi 31 janvier. Nous avions alors croisé le chemin de Yannick, retenu par son tour de garde en ce mardi 7 février. Son propos était marquant : « C’est la première fois que je manifeste. La coupe est rase. En été, avec les incendies de forêt, t’es tout beau, on te montre à la télé, et ensuite, t’es que de la merde ». Yannick a toujours eu « la vocation » : il est né pour être pompier et à 57 ans, il monte toujours à la grande échelle. Mais, il concède le poids des années. Et peut-être aussi le sentiment d’être floué, car à 57 ans, avec le précédent accord, il aurait dû pouvoir faire valoir ses droits à une pension de retraite.
Baisse des capacités physiques avec l’âge
Pas de pompiers volontaires en cette troisième journée de manifestation à Montargis (il y en avait lors des deux précédentes éditions), mais nous croisons Frédéric, pompier retraité après 38 années de service professionnel. Comme quoi les retraités sont solidaires de ceux qui ne le sont pas encore, un phénomène qui s’observe de semaine en semaine. « A près de 60 ans, on n’est plus capable d’aller chercher quelqu’un dans un appartement en feu. On est trop fatigués par le métier ». Car à la difficulté de certaines interventions, il faut ajouter le poids de l’équipement, qui peut dépasser les 20 voire les 30 kilos. « Il faut avoir une très bonne condition physique pour monter à l’échelle à crochets, ajoute Frédéric. Mais s’il faut aller chercher quelqu’un, c’est trop difficile ». En fait, se posent ici des enjeux de sécurité, tant pour les soldats du feu que pour la population.
A défaut d’avoir pu rencontrer un représentant syndical, nous conclurons avec Christophe, dont le propos illustre le sentiment ambiant : « Nous venons pour exprimer notre mécontentement sur la réforme. Lors de la précédente réforme, il n’y a pas très longtemps, on nous avait promis qu’on pourrait partir à 57 ans. Là, on va sur 59 ans. Clairement, on ne se voit pas en train de continuer cette profession jusqu’à cet âge-là, aussi bien physiquement que mentalement. On est tout de même exposés à des situations compliquées, dures ; confrontés parfois des températures extrêmes. Ce sont des situations compliquées à vivre. D’une certaine façon, on se sent trahis par les précédentes promesses qui disaient que l’on ne toucherait pas à notre profession (sur les questions d’âge de départ à la retraite, ndlr). Cela a été changé sans concertation, donc on n’est pas d’accord. On nous dit toute l’année que c’est un beau métier, qu’on a de la considération, mais (avec cette réforme, ndlr), on se rend compte que ce n’est pas vrai. »
Ce sentiment de manque de considération est prégnant dans ces professions où l’exposition à des événements et à des scènes traumatiques est de surcroît récurrente. Même s’ils ont à présent la possibilité d’appeler un psy quand le poids devient insoutenable, ce cocktail donne finalement le sentiment qu’ils sont livrés à eux-mêmes, d’où la force de leur rejet de cette nouvelle réforme.
Paroles de policiers
Patrick Lavainne, secrétaire départemental du syndicat de police Unité SGP Police-FO, majoritaire sur le Loiret et en France, est venu d’Orléans avec Franck Raynaud, son adjoint. Ils étaient là pour soutenir leurs collègues du Montargois :
« Il va falloir nous expliquer comment nos collègues vont pouvoir continuer à travailler sur le terrain à 62 voire 64 ans, nous explique Patrick Lavainne. On ne peut pas reporter encore de deux ans les départs à la retraite : nos collègues sont usés. La fatigue est physique, mais elle est aussi, pour une bonne part, psychologique. Les interventions sont de plus en plus difficiles ; on a affaire à des personnes de plus en plus violentes : cette réforme n’est pas acceptable pour nous. Pour nos collègues qui ont une cinquantaine d’années et qui sont déjà usés aujourd’hui, il faudrait d’abord prévoir des postes aménagés : ce n’est pas le cas aujourd’hui. On commencerait déjà par ça et ensuite, on pourrait effectivement évoluer. Mais commençons par le début. Nous sommes aussi solidaires de nos collègues de Force Ouvrière et de toute la population en général. Car je suis aussi là en tant que père de famille. On va reporter l’âge de départ à la retraite alors que les seniors ne trouvent pas de travail et que nos jeunes ne trouvent pas d’emploi. Il ne faut pas que le gouvernement pense qu’on va baisser les bras »
Plus d’infos autrement sur Magcentre : La réforme des retraites jette les aides à domicile à la rue