Alors que les forêts de la région voient chênes et pin sylvestres dépérir, la plantation de nouvelles essences soulève questions et incertitudes. Quelles espèces planter ? Lesquelles s’adapteront ? Quelle forêt pour demain ? Réponses avec Amélie Robert, maître de conférence à l’Université de Picardie et chercheur à l’Unité mixte de recherche CITERES de Tours.
Propos recueillis par Estelle Boutheloup
Magcentre. Ici non plus la forêt n’échappe pas au changement climatique. Quels constats faites-vous aujourd’hui ?
Amélie Robert. En Centre-Val de Loire, la forêt couvre 24 % du territoire, peuplée essentiellement de feuillus du moins pour l’instant… Car les effets du changement climatique sont déjà perceptibles et risquent de modifier profondément nos paysages forestiers. On pense en particulier aux dépérissements qui affectent les chênes (60 % des peuplements de la région), mais aussi les pins sylvestres.
Ainsi, l’ensemble de la filière s’inquiète. D’autant que des incertitudes existent : quelles espèces planter ? Lesquelles s’adapteront et résisteront aux conditions climatiques actuelles et à celles que connaîtra notre région dans 100 ans ? Lesquelles s’adapteront aussi aux sols et aux conditions du milieu qui vont elles aussi évoluer avec le climat ? Autant de questions que les propriétaires forestiers, mais aussi l’ONF se posent, conscients par ailleurs des attentes et des besoins en bois de la société, et qui importent aux acteurs de la filière qui devront adapter leurs pratiques selon les espèces qui seront plantées.
Magcentre. Depuis plusieurs années, la reforestation est encouragée donnant lieu à des opérations en tout genre : un produit acheté un arbre replanté, plantation de forêts mosaïques, micro-forêts, forêts Myawaki… Est-ce une bonne chose ?
Amélie Robert. En effet, ces initiatives se multiplient, les plantations étant encouragées, y compris par le président de la République. Au regard de leur grande diversité, il est difficile de répondre de manière globale. Mais soulignons que planter ne suffit pas. Encore faut-il savoir pour quoi et dans quel but ? Si ces actions visent à atténuer le changement climatique, considérant que les arbres séquestrent du carbone, il faut souligner que cette capacité dépend des espèces, des modalités de gestion, de l’âge et du type de peuplements, voire de l’usage qui sera ensuite fait du bois. Côté biodiversité, les répercussions peuvent aussi être dommageables. Face aux dépérissements d’espèces locales, on s’oriente vers des espèces plus méridionales croissant dans des conditions climatiques similaires à celles que nous devrions connaître. Mais ces espèces, dites « exotiques », peuvent se révéler envahissantes et, dans tous les cas, impacteront les espèces où elles seront plantées, modifiant les cortèges.
Les plantations auxquelles nous nous intéressons dans le cadre du projet « Plantaclim » sont parmi celles à croissance rapide, souvent les plus décriées sur le plan environnemental, mais qui offrent du bois à court terme. Pour mémoire c’est comme cela qu’au XIXe siècle, les Landes comme la Sologne, ont été plantées par « enrésinement ». La plantation de pins maritimes est par exemple testée au domaine de Chambord.
Magcentre. Qu’est-ce que le projet « Plantaclim » ?
Amélie Robert. « Plantaclim : maximiser les services des (re)plantations forestières dans le contexte du changement climatique » (dans son titre entier) est un projet de recherche financé par la Région Centre-Val de Loire et porté par le laboratoire CITERES. Il implique des chercheurs de différentes disciplines (INRAe, laboratoires LBLGC et ISTO et MSH Val de Loire) ainsi que des acteurs du territoire, pas seulement du monde forestier (ONF, CRPF, FiBois, Duramen, association des entrepreneurs de travaux forestiers Centre-Val de Loire, Peupliers du Centre-Val de Loire) mais aussi le PNR Loire Anjou Touraine, SEPANT, A2RC, Communauté de communes Touraine Ouest Val de Loire et Centre Sciences.
Constatant que les plantations forestières progressent dans le contexte actuel du changement climatique, nous nous intéressons aux plantations qui sont au centre de controverses, formées d’espèces à croissance rapide : peupleraies et plantations de pins maritimes. Déjà présentes dans la région, elles sont plantées sur de nouvelles parcelles lorsque la régénération naturelle de chênes échoue – comme en forêt de Vierzon – et surtout en remplacement des pins sylvestres qui dépérissent. Notre objectif est de proposer des pistes d’améliorations, en partant des services qu’elles rendent, en vue de les augmenter et de réduire dans le même temps leurs inconvénients.
Magcentre. À quels nouveaux enjeux, la forêt doit-elle faire face aujourd’hui ?
Amélie Robert. Il sont environnementaux, économiques et de plus en plus sociétaux.
Pour les acteurs de la filière, une partie de la société oublie que le bois dont elle a besoin implique l’exploitation de forêts. Pour d’autres, la forêt est aussi synonyme de nature et de biodiversité. Les inquiétudes sur l’avenir des forêts se généralisent aujourd’hui, renvoyant plus généralement à des préoccupations environnementales : on parle d’une « écologisation » de la société, dont les raisons sont probablement à chercher dans une prise de conscience grandissante du changement climatique, dans une volonté plus forte de se rapprocher de la nature au sein d’une population désormais majoritairement citadine.
Amélie Robert tiendra une conférence ce mardi 7 février à 20h au MOBE à Orléans, dans le cadre des « Mardis de la Science » de Centre Sciences.
Photo d’ouverture : peupleraie à Bréhémont dans l’Indre-et-Loire. Photo de A. Robert
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