C’est dans un climat morose dû aux inquiétudes qui pèsent sur l’institution historique, que la pièce créée par l’artiste sicilienne, Emma Dante, s’est jouée au théâtre d’Orléans, soulevant l’enthousiasme du public.
Par Bernard Thinat
Mercredi 1er février, salle Barrault au CDN d’Orléans, c’était la 199ème représentation de « Misericordia » d’Emma Dante, ponctuée par une standing ovation de la salle, chose plutôt rare au théâtre. 199 levers de rideau donc, en passant par le Festival d’Avignon en juillet 2021, dont 180 en France, c’est cela le réseau théâtral dans notre pays, il est toujours bon de le rappeler à celles et ceux qui voudraient lui porter atteinte.
Emma Dante, on l’avait découverte en 2014 avec le film « Palerme », quand deux automobiles empruntent une rue étroite, chacune par une extrémité, jusqu’au face à face. Des femmes au volant, aucune ne voulant reculer pour céder la place à l’autre. Elles y passeront la nuit. Superbe !
Elle nous revient régulièrement avec un nouveau spectacle sur les planches, où théâtre, danse et musique se conjuguent en harmonie, le plus souvent avec des femmes sur le plateau, faisant ressurgir les haines, les drames cachés du passé, leurs amours, les souvenirs lointains… Et toujours sur des airs de Tarentelle, cette danse du sud de l’Italie.
Misericordia – Photo Christophe Raynaud de Lage
Il en va ainsi de « Misericordia ». Trois femmes tricotent pendant qu’un jeune « idiot », c’est le mot qu’elles utiliseront, se dandine sur sa chaise. Il s’en passera des choses durant une heure, pas plus, dans ce taudis misérable qu’elles occupent. Tour à tour, la tendresse envers ce jeune homme qui n’est pas le leur, la révélation sur sa naissance, les fâcheries entre femmes, la dénonciation des hommes qui battent leurs compagnes, mais aussi des instants de grande pitié pour ces femmes qui dansent presque nues, sans doute dans des cabarets quelque peu louches pour gagner quelque argent, car chez Emma Dante on n’a pas peur de se dévêtir sur scène, la nudité des corps révélant la face cachée des êtres. Enfin, « l’idiot » qui se révèlera être un extraordinaire danseur, produira une chorégraphie exceptionnelle sur un air de tarentelle. Du grand art !
Misericordia – Photo Masiar Pasquali
Au final, une fanfare se fait entendre, le grand garçon est invité à la suivre, pas si idiot que cela, et promis par les trois femmes à une vie meilleure, tout ce qu’elles n’ont pas eu, une vraie chambre, un radiateur, et une fenêtre pour admirer le ciel. Et son premier mot : « Maman » pour les saluer une dernière fois, en dansant encore et toujours. Magnifique, le public ne s’y trompe pas.
Prochain spectacle au CDN d’Orléans :
La Vie invisible
le 28 février et le 1er mars
Texte de Guillaume Poix, à partir de témoignages de personnes non et mal-voyantes
Mise en scène de Lorraine de Sagazan
Production : la Comédie de Valence, CDN de la Drôme
Voir le site du CDN d’Orléans