Todd Field invente le personnage de Lydia Tár, une cheffe d’orchestre surdouée que le pouvoir aveugle. L’extraordinaire Cate Blanchett lui donne vie avec une force convaincante, emmenant dans les sommets ce personnage brillant. Le monde fermé et masculin de la musique entr’ouvert par une femme que sa part d’ombre fera chuter.
Par Bernard Cassat
Cate Blanchett dirige l’orchestre de Berlin. Photo Focus Features
Tár, Lydia Tár, c’est le nom de cette cheffe d’orchestre imaginée par Todd Field pour raconter l’histoire d’un dérapage. On commence par deux longues séquences brillantissimes, une réflexion profonde sur la musique et surtout les musiciens. D’abord une interview en public de Lydia par un journaliste musical balaye les questions de fond, quel rôle pour le/la chef d’orchestre, comment on dirige, sur quelle compréhension de la musique écrite. Lydia fait de magnifiques réponses sur le rôle de maître du temps du chef, qui déclenche l’horloge et en règle la marche.
Une deuxième séquence la montre en pleine master class dans la célèbre école Juilliard, expliquant dans une parole plus libre des points primordiaux sur l’interprétation, l’implication dans la partition. Mais malgré l’intelligence de son propos, on sent que quelque chose d’autre apparaît. Une manipulation, qui fait que Louis, l’étudiant qu’elle triture à propos de Bach, s’en va en la traitant carrément de « salope ». A juste titre.
Orgueilleuse et folle de pouvoir
Le reste du film développe cette facette du personnage, autant dans sa direction et son rapport aux musiciens de l’orchestre philharmonique de Berlin qu’elle dirige pour un enregistrement de Mahler pour Deutsche Grammophon, que dans sa vie de famille, avec sa compagne et sa fille.
L’orchestre de Berlin est un ensemble d’exceptions qui fonctionne avec des procédures qu’elle bouleverse. Lesbienne déclarée, elle n’hésite pas à promouvoir une jeune violoncelliste, certes prodige, uniquement pour la mettre dans son lit. Une autre affaire de manipulation, liée à sa secrétaire qui a été son amante il y a longtemps dans une étrange aventure à trois en Amazonie, révèle son vrai visage. Elle est devenue folle de pouvoir, et d’ailleurs peut-être folle tout court. Le moindre bruit la perturbe, elle chasse des mouches imaginaires. Et finit par un acte de violence insensé, sorte de suicide social. Elle a perdu le temps de la réalité.
Lydia perdue dans le monde réel. Photo Focus Features
Cate Blanchett extraordinaire
Todd Field a construit un film très esthétique et d’une envergure assumée, qu’il n’aurait pas tourné si Cate Blanchett avait refusé le rôle. Absolument époustouflante du début à la fin, elle insuffle à Lydia Tár une vie intérieure qui transparaît dans tous les plans. Des plus discrets, quand elle va voir par exemple une écolière voisine de sa fille qui la harcèle, jusqu’aux plus gros, où elle en fait beaucoup mais qui couronnent son personnage, les attentes d’entrées en scène, entre autres. Visage très lisse, elle exprime avec le regard. Pour le film, elle a appris l’allemand et le piano. C’est elle-même qui joue, sans aucune doublure !
Le scénario de Todd a, comme son personnage qui se lave les mains tout le temps, des redondances maniaques. Ces grands tunnels à New York et Berlin, les discussions de restaurant pas toujours passionnantes, les moments très longs dans l’appartement très grand standing. Ca ne sert pas forcément le temps du film, franchement trop long. Mais d’autres moments, dans la salle « en vignoble » de la Philharmonie de Dresde, dans l’école Juilliard aussi, utilisent le graphisme des lieux pour des images marquantes.
Rappelons que le sujet des cheffes d’orchestre est à la mode. Un autre film, Divertimento, actuellement dans les salles, retrace la vie de Zahia Ziouani, une cheffe française bien réelle.
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