Carla Simon met en images une fresque puissante sur la campagne qui l’a vue naître et qui bientôt n’existera plus. A travers une famille interprétée par des acteurs amateurs, elle capte toutes les nuances des hommes et des paysages. Le vert paradis campagnard des bonheurs enfantins se meurt. C’est poignant et essentiel.
Par Bernard Cassat
La famille stupéfaite de la situation. Photo Pyramide Distribution
Déjà dans Ete 93, sorti il y a 6 ans, Carla Simon nous emmenait à la campagne en suivant une petite fille. Dans Nos soleils, son nouveau film, elle nous fait entrer dans une famille d’exploitants agricoles à travers des enfants. Cousins et cousines d’à peine 10 ans vivent dans un petit paradis, au milieu des pêchers dans des paysages de Catalogne du centre, proche de l’Aragon. A Alcarràs, le village où est née la réalisatrice. Une magnifique campagne que Carla filme avec minutie et attention pour en dégager toute la beauté. Ses personnages aussi, cette famille d’agriculteurs dont elle montre ce qui pourrait être des clichés. Mais son regard en fait des séquences très habitées. Le grand-père, d’un temps déjà révolu, Quimet le père, taiseux bourru qui règle les problèmes d’une main ferme. Ses frères et sœurs, partis à la ville mais qui reviennent souvent. Son fils aîné Roger, lycéen bien impliqué dans l’exploitation. Et la mère Dolors, femme forte qui régente la vie de la maisonnée. Famille intergénérationnelle où les chants et la cuisine transmettent non seulement le passé, mais l’affection présente.
L’écroulement d’un système
Mais tout va se détraquer. Le monde d’aujourd’hui fait irruption dans cette campagne. Une société d’installation de panneaux solaires rachète les terres. La récolte des pêches n’est plus rentable quand elle n’est pas industrielle, donc beaucoup d’agriculteurs n’hésitent pas à vendre. C’est à ce moment que Quimet se rend compte que son père, et lui à sa suite, ne travaillaient pas leur terre, mais celle d’un voisin qui la leur avait
« donnée », par la parole, comme cela se pratiquait. Et son descendant, qui respectait la parole jusque-là, les a vendues. De toutes façons, la récolte familiale des pêches ne peut financièrement plus continuer. Un monde, un système s’écroule.
Iris, l’adorable chipie, dans son paradis de pêchers. Photo Pyramide Distribution
Carla Simon a choisi de ne prendre aucun acteur professionnel pour incarner les personnages. Elle a fait un casting dans les villages de la région. Lorsque le grand-père cueille des figues, les retourne dans ses mains filmées en gros plan, on sait que cet homme ne joue pas. Il y a un respect du fruit, un amour de cette campagne bouleversant. Tous les personnages, dans leurs gestes, dans leurs regards même, disent leur appartenance à cette terre. Et ils parlent tous le catalan avec l’accent du coin, Carla y tenait.
Le soleil ne fait plus pousser des fruits mais chauffe des panneaux
Nos Soleils est une ode à la campagne qui disparaît, aux paysans qui sombrent. Lorsque le problème est posé, on sait qu’ils ne pourront même pas lutter. Le vieux figuier va être arraché, c’est incontournable. Et cette impossibilité de faire autrement change le paradis en drame. Quand la famille vient s’aligner pour regarder les premiers panneaux solaires dans le champ voisin, l’image contient toutes les données de cette transition. L’étonnement, l’incompréhension, la force de la terre et l’implacable diktat du monde moderne. Mais aussi la force du groupe familial, cette communauté puissante qui va subir le terrible choc. Qui la disloque. Mais deux claques de Dolors, à son fils et à son mari, vont imposer l’inévitable ordre nouveau.
Un grand film discret et sincère, profond et tendre, qui mérite parfaitement son Ours d’or à Berlin l’année dernière.
Plus d’infos autrement sur Magcentre : Orléans : la librairie Jaune Citron pétille