Le thème général des Duetti programmés par Séverine Chavrier qui transparaît au travers de cinq d’entre eux, était le théâtre de l’absurde, thème en lien avec l’état du monde. Mais ne dit-on pas que le monde est un immense théâtre… « La Question » est toujours d’actualité.
Par Bernard Thinat
Aucune idée
Depuis 40 ans, Christoph Marthaler sillonne l’Europe de l’Ouest avec ses créations théâtrales et lyriques. L’une de ses dernières, “Aucune idée”, faisait halte au théâtre d’Orléans pour deux représentations.
Aucune idée – Photo Julie Masson
Sur le plateau, six portes, deux boîtes aux lettres, un radiateur dans un salon où l’un des deux compères manie le violoncelle, on aura même droit à quelques notes de « Tristan et Yseult » de Wagner. Deux acteurs, deux jumeaux peut-être, sur scène, mais pas dans la vie : Graham F. Valentine qui a rencontré Marthaler à Zurich au siècle dernier, les deux ne semblant pas vouloir se quitter, et Martin Zeller, le musicien. La pièce est constituée de petites choses, de petits riens qui en constituent la trame, mais qui mis bout à bout offrent un ensemble théâtral cohérent.
Entre le radiateur qui parle, une boîte aux lettres qui crache lettres, publicités et plumes, Valentine qui nous offre un discours fait de syllabes répétées indéfiniment, Zeller qui tente d’accrocher un cadre vide au mur sans parvenir à le mettre droit, Valentine qui vient cambrioler un appartement, ou qui tente en vain de recoller une lettre qu’il a lui-même déchirée, on nage dans le théâtre de l’absurde cher à Kafka ou Beckett.
Ces petits moments de la vie ordinaire qui pourraient être invisibles dans la vraie vie, deviennent des éléments extraordinaires sur le plateau d’un théâtre, et surtout lorsqu’ils sont mis en scène par un dramaturge de la trempe de Marthaler. Point n’est besoin d’analyser l’ensemble de la pièce, le public se doit juste de la prendre pour ce qu’elle est, et rien de plus. Au final, il applaudit chaleureusement.
La Question
Henri Alleg, journaliste et communiste, a été arrêté par les parachutistes à Alger en 1957. Il est abominablement torturé afin de lui faire avouer les noms et adresses de ceux qui l’hébergent, il vit alors dans la clandestinité. Quelques mois plus tard, dans un camp d’internement, il écrit le récit de ses jours horribles, les séances de tortures qu’il a subies. Sorti clandestinement du camp, le manuscrit est édité en France, aussitôt interdit, réédité en Suisse, et diffusé « sous le manteau » en France. Ce récit s’appelle « la Question ».
La Question portée par Stanislas Nordey – Photo Jean-Louis Fernandez
Stanislas Nordey, Directeur du Théâtre National de Strasbourg encore pour quelques mois, porte à la scène ce récit. Il était au théâtre de la Tête Noire à Saran, dans le cadre des Duetti du CDN d’Orléans, le 6ème et dernier. Salle comble pour l’occasion, public venu pour entendre et voir l’acteur et metteur en scène, et pour entendre aussi le récit d’Alleg, récit foudroyant, terrifiant, qui montre jusqu’à quel tréfonds d’abomination peut se livrer le genre humain.
On l’avait vu en 2020 au CDN, porter le texte d’Edouard Louis, « Qui a tué mon père ? ». Nordey est monstrueux sur scène. Toujours avec une diction remarquable, il tient le plateau durant une heure sans que la tension provoquée par un tel récit ne se relâche l’espace d’une seconde. La mise en scène assurée par Laurent Meininger lui assure néanmoins ainsi qu’au public, quelques instants de répit, musique et chanson de l’époque venant rompre avec la dureté du récit. Tonnerre d’applaudissements au final.
Interview de Stanislas Nordey à suivre…
A relire :
Duetti 1 & 2
Duetti 3 & 4