L’ancien monde, la start-up nation, le château et la Préfète #4

[Feuilleton] Le 15 décembre dernier, Magcentre reprenait les révélations du Canard Enchainé sur le limogeage de Marie Lajus, préfète d’Indre et Loire, remerciée sans préavis par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Depuis, de courriers en pétition de soutien, l’affaire a pris une ampleur nationale tant cette décision sans explication officielle apparait comme choquante quant au respect des lois républicaines en région. Nous revenons ici sur cette affaire avec une enquête très documentée sous la forme d’un feuilleton de Noël au cœur des rouages du pouvoir en région.

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Chapitre 4

Un grain de sable dans la mécanique quantique

Petit bémol à ce projet mené de main de maître, c’est l’avis défavorable de l’architecte des bâtiments de France qui s’oppose à ce chantier qui détruirait et dénaturerait fatalement le site naturel du parc du Château de la Vallière. L’avis a donc été suivi par la Préfète d’Indre-et-Loire, Mme Marie Lajus, d’autant plus que le gouvernement d’Emmanuel Macron multipliait les discours à teneur écologique et portait une nouvelle législation sur le sujet.

La nouvelle a semble-t-il douché les espoirs de pas mal d’élus engagés sur le dossier et c’est selon le Canard Enchaîné la raison pour laquelle nombre de notables locaux de la politique ont décroché leur téléphone pour alerter M. Gérald Darmanin du danger de cette Préfète par trop regardante et procédurière, et ce alors qu’il y a eu pas mal de tensions depuis 18 mois, les pratiques de quelques élus locaux étant parfois peu compatibles avec l’approche rigoureuse de Mme Lajus. D’ailleurs, un communiqué de presse du Da Vinci Labs du 25 novembre dernier citait le député Labaronne qui prenait ouvertement parti : « Ce projet ambitieux est conditionné à la modification du plan local d’urbanisme et l’obtention du permis de construire, qui font actuellement l’objet de procédures avec les services compétents. DEV’UP a joué un rôle prépondérant dans ces échanges et nous avons hâte que les discussions aboutissent. Le temps est compté, pour répondre à ces défis planétaires. Et il enfonce le clou auprès de la NR le 2 décembre« il y a un décalage entre la perception de la préfecture avec l’écosystème qui soutient Xavier Aubry. Depuis le début, la DDT (direction départementale des territoires) et la préfecture ne croient pas dans le projet. Est-ce qu’on a peur que la France réussisse ? Chaque mois de perdu est un mois de perdu pour l’industrie française. Quand il y a un projet d’intérêt général, il existe des dérogations ».

l’incubateur du Da Vinci Labs en images de synthèse pour les Echos

Quelques jours plus tard, le 7 décembre, au congrès de l’association des maires d’Indre-et-Loire, Jean-Gérard Paumier prenait la parole et tenait des propos interprétés comme une critique directe de la Préfète, considérant que la confiance entre les élus locaux et la représentante de l’État n’était pas au rendez-vous, et que cela ralentissait la Touraine, propos rapportés par la NR le 10 décembre dans un drôle d’article qui reprenait essentiellement les éléments de langage des élus de la droite et de la ruralité. En fait, à ce même moment à Paris, en conseil des Ministres, Gérald Darmanin démissionnait la Préfète Lajus. Chronologie que des élus de gauche et le Canard Enchaîné n’imputent pas au plus grand des hasards.

À la place est nommé M. Patrice Latron, 61 ans, issu de la formation militaire de Saint Cyr, il devient d’ailleurs chef de groupe puis gravit les échelons chez les chasseurs parachutistes. Dans les années 90 il travaille auprès de Balladur puis Juppé et devient préfet. Il alterne ensuite avec des postes dans les ministères, et prend du galon sous Macron, devenant coordinateur du déploiement du SNU puis est nommé directeur de cabinet de la ministre en charge des anciens combattants. Des militants de gauche dans des départements où il a exercé le qualifient de totalement déconnecté des sujets sociaux et plutôt porté sur le sécuritaire. Vu le contexte de crise et les enjeux politiques ces prochains mois, son profil inquiète pas mal les acteurs de la solidarité et de l’aide aux migrants qui appréciaient travailler avec Mme Lajus et ses services, notamment après les mauvais souvenirs laissés par la précédente Préfète – Mme Corinne Orzechowski – et sa gestion des flux migratoire et des manifs des Gilets Jaune.

Drôle de coin, la Touraine

Voilà, ainsi va la Touraine, enchaînant les hommages permanents à Balzac et à ses histoires de notables ventripotents, mettant en scène la fusion des intérêts politiques et économiques, individuels, publics et privés, aristocratiques et bourgeois – version high-tech -, avec l’assentiment de certains élus, dans un entre-soi qui ne se dissimule même plus, le tout rendu encore plus explicite avec un décor d’Ancien Régime.

Des hommes d’affaire suisses, un château, des élus, un prix Nobel, des investisseurs, des aristocrates, des subventions, des réseaux, des familles connues, des artistes renommés et l’espoir d’une jolie plus-value.

On passe de Balzac aux Pinçon-Charlot tout à coup.

FIN

Commentaires

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  1. Belle conclusion, qui résume bien l’impression de toute puissance des réseaux de la grande bourgeoisie. Ceux à qui cette lecture n’aurait pas encore complètement coupé l’appétit peuvent également se tourner vers le remarquable livre “Noël à Chambord” d’Emilie Lanez. Hauts les cœurs et bonne année 2023 !

  2. Le grand public est-il lucide que le représentant local de l’état dispose d’une faculté nouvelle, depuis 2020 (de mémoire), le mode dérogatoire, en exception à la règlementation en vigueur, pour des situations particulières le nécessitant, obligatoirement associé à un intérêt général évident ne faisant pas débat ?

    Pour que le projet présenté, en l’état, avec la localisation géographique envisagée du projet, le représentant local de l’état aurait dû user de cette faculté nouvelle, en accordant une dérogation (hors autres sujets occupation des sols et classement du lieu) en parfaite exception à la Loi toute nouvelle, n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience, face à ses effets, plus particulièrement sur le chapitre III : Protéger les écosystèmes et la diversité biologique (Articles 45 à 81).

    Et que cette décision dérogatoire accordée par le représentant local de l’état, de façon exceptionnelle n’aurait pas manqué d’être attaquée devant le tribunal administratif, par la myriade d’associations de défense de l’environnement, compte tenu d’un dossier étayé, avec notre représentant local de l’état qui aurait alors été sur le grill.

    C’était cela le cheminement espéré par les protagonistes du projet, pour notre représentant local de l’état.

    “Nous demandons une exception à la règlementation et le représentant local de l’état s’expose à une mise en cause devant le tribunal administratif.” Cool, non ?

    Une sacrée trajectoire en perspective à celle qui a été révoquée, si elle avait accédé à l’injonction des élus locaux, complètement galvanisés par les perspectives du projet.

    Pourquoi personne pour évoquer ce parcours du combattant qu’elle aurait eu à livrer et pour quelle belle cause, au final ?

    Pour un pôle de recherche localisé en pleine campagne, à 3/4 d’heure de distance de la première université et de ses étudiants qui seraient venus comment ?

    Quel personnel pour se déplacer en un tel lieu éloigné de la première métropole de proximité ?

    Qui pour évoquer ces effets de bord du projet tel que spécifié et les conséquences pour le représentant local de l’état ?

    Rien de choquant de la part des défenseurs du projet en l’état ? Franchement ?

    Quand on a connaissance des tréfonds du parcours, avec un tel projet, suggérant autant d’écarts avec la règlementation en vigueur, nous comprenons mieux la position adoptée et retenue.

    Il est improbable que le remplaçant expérimenté, soit moins lucide d’une telle situation que celle qui en a payé le prix fort, en ne se laissant pas embarquer dans un processus qui l’aurait mise en cause, au final (TA).

    Les représentants locaux de l’état sont bien informés des risques d’usage d’une telle procédure d’exception. Disons qu’il faut vraiment que le jeu en vaille la chandelle et que le ministère garantisse son soutien plein et entier.

    Est-ce vraiment le cas, dans la situation présente ?

    Est-ce l’intérêt général d’ériger un tel pôle, dans un lieu éloigné et desservi par les voies de communication que les locaux connaissent bien ?

    Comprendre qu’on puisse chuter dans un tel contexte, dit beaucoup sur la gouvernance de nos représentants locaux d’état et du soutien sur lequel, ils peuvent compter.

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