L’ancien monde, la start-up nation, le château et la Préfète #3

Le 15 décembre dernier, Magcentre reprenait les révélations du Canard Enchainé sur le limogeage de Marie Lajus, préfète d’Indre et Loire, remerciée sans préavis par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Depuis, de courriers en pétition de soutien, l’affaire a pris une ampleur nationale tant cette décision sans explication officielle apparait comme choquante quant au respect des lois républicaines en région. Nous revenons ici sur cette affaire avec une enquête très documentée sous la forme d’un feuilleton de Noël au cœur des rouages du pouvoir en région.

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Chapitre 3

Le château 2.0

Là où les choses deviennent vraiment intéressantes et avant-gardistes, c’est que Xavier Aubry a une idée beaucoup plus ambitieuse en tête, celle de fonder un incubateur pour les deeptech, à savoir l’Intelligence Artificielle, les ordinateurs quantiques et la biologie de synthèse. Mieux, ce futur incubateur devrait voir le jour dans… le parc du Château de la Vallière, oui oui, celui « au milieu d’une forêt ancienne de seize hectares qui abrite une réserve d’espèces animales protégées », celui qui suscite l’admiration de la Fondation Mansart , celle qui entend « préserver et faire vivre des patrimoines de grand intérêt (…) les sites naturels et paysagers ».

Attention, on ne parle pas d’une idée en l’air, ce n’est pas le style de Xavier Aubry. Le projet est avancé, le bâtiment est déjà dessiné et il participe même à un concours donnant lieu à des financements de l’Union Européenne grâce à ses caractéristiques écologiques présentées comme hors du commun, et il est soutenu par la fine fleur de la classe politique locale.

Plan du projet de bâtiment Da Vinci Labs

Le maire de Reugny, Nicolas Toker est aux anges : imaginez la manne sous forme de taxes et de dépenses des futurs pensionnaires de l’incubateur. Le patron de la communauté de communes, Vincent Morette, membre du PS – pas de sa branche la plus gauchiste – voit clignoter en grand les mots magiques : développement du territoire. Le Conseil Départemental est aussi de la partie – avec par exemple une subvention de 50.000 euros votée il y a quelques mois -, notamment par l’intermédiaire de son président Jean-Gérard Paumier, très influent notable de la droite locale, proche de M. Labaronne, et que l’on donne candidat aux prochaines sénatoriales de 2023. On comprend alors que le projet et ses retombées positives dans nombre de petites communes rurales du coin pourrait se traduire en votes de grands électeurs. Enfin, François Bonneau, président PS de la Région Centre depuis un bon moment, et là non-plus, pas le plus bolchévique, très distant par rapport à la Nupes, aux convictions écologiques tout en nuances et visiblement fasciné par le développement économique sauce high-tech, quitte aussi à soutenir l’ancien monde, par exemple en aidant fortement le maintien sous perfusion de l’aéroport de Tours. C’est le programme d’investissement public régional Dev’Up – dont Thibault Coulon est l’un des administrateurs – qui accompagne le projet d’incubateur. On retrouve même des articles à ce sujet dans la NR, mais sous la forme de contenus publi-rédactionnels, c’est à dire que Dev’Up a acheté au journal des espaces pour faire de la communication institutionnelle. On apprend donc que « ce lieu unique de 4000 m² mettra véritablement les technologies quantiques, l’intelligence artificielle et la biologie synthétique au service de la planète. L’enjeu de cette structure de recherche et d’incubation sera en effet de permettre aux startups de répondre de manière compétitive aux défis écologiques de demain, et de faire émerger les futurs champions de nos filières d’excellence (…) Sa concrétisation aura un formidable impact sur l’écosystème local d’innovation ». Elle complétera l’offre d’accompagnement régional des Deeptech et sera aussi un nouvel élément d’attractivité du territoire ! ». De quoi avoir des étoiles dans les yeux et un petit goût de silicon valley arrosée de Montlouis demi-sec.

Les premiers de cordée

Mais Xavier Aubry  a aussi des amis dans le business. Pour 2023, Da Vinci Labs annonce accompagner deux projets, Swiftt et Equality, autour de l’intelligence artificielle. Mais ce qui aiguise l’appétit de nouveau monde de nos élus, ce sont les partenaires affichés du projet d’incubateur. D’un côté, Pasqal, boîte de recherche en informatique quantique crée en 2019 par Alain Aspect, devenu prix Nobel de physique en 2022 et Christophe Jurczac. De l’autre, Qubit Pharmaceuticals, créé par Robert Marino et dont Christophe Jurczac est administrateur. Le point commun entre ces deux boîtes porteuses d’espoirs d’innovation et de recettes financières est d’être en partie financées par un fonds nommé Quantonation, dirigé par Charles Beigbeder et… Christophe Juczac. Ce dernier est passé par Polytechnique, Normale Sup, l’ESCP puis la Stanford School of Economics avant d’intégrer des postes importants dans des ministères puis de partir pour Poweo, boîte créée par Charles Beigbeder pour concurrencer EDF après l’ouverture à la concurrence du secteur. Ensuite, il a été ou est encore administrateur d’une petite vingtaine de start-up partout dans le monde avant d’intégrer la direction de Quantonation en 2018. Charles Beigbeder, lui, est le frère de l’écrivain. Il a fait l’école Centrale avant de bosser pour Matra et de s’orienter vers l’activité bancaire chez BNP puis le Crédit Suisse. Il monte et revend des boîtes à toute vitesse et il est actuellement à la tête du fonds d’investissement Audacia, tout en mettant des billes aussi dans les start-up de l’aérien et dans les voitures autonomes. Cultivant plusieurs talents, Charles Beigbeder mène en parallèle une carrière politique. Il tente de prendre la tête du Medef sans succès et il se présente sous l’étiquette UMP à Paris, mais il se fait exclure du parti à cause d’une trahison. Depuis, il milite ouvertement aux côtés de Charles Millon pour l’union des droites, assumant vouloir nouer des alliances avec le RN et se faisant remarquer par ses rencontres sans complexes avec Eric Zemmour il y a quelques années, ou avec Marion Maréchal et Robert Ménard plus récemment. D’ailleurs, il investit dans des médias et détient des parts des très réactionnaires l’Incorrect et Atlantico. Catholique très pratiquant et membre du Rotary Club, Charles Beigbeder se dit membre de l’Opus Dei, ordre pour le moins conservateur, longtemps compromis avec la dictature Franquiste en Espagne et avec Pinochet au Chili. Bref, les réseaux de Xavier Aubry sont puissants et influents, on l’aura compris.

A suivre…

 

Commentaires

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  1. j’adore ce feuilleton de fin d’année, haletant et bien écrit. Merci et bravo.

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