Dans un film émouvant, Rachid Bouchareb revient sur l’affaire Malik Oussekine, tué par la police le 5 décembre 1986, et sur la mort d’Abdel Benyahia, tué le même jour par un policier ivre hors service à Pantin. Affaire politique bien sûr, puisque la violence d’Etat a une fois de plus frappé. Le film intimiste s’attache aux deux familles, à leur douleur et leur incompréhension, et raconte la partie historique avec des documents d’époque.
Par Bernard Cassat
Adam Amara dans le rôle de Malik. Photo Guy Ferrandis
En 1986, le projet de loi Devaquet instaure une sélection d’entrée à l’université et une hausse des tarifs d’inscription. D’où une énorme mobilisation, et une énorme répression. On est alors pendant le premier mandat Mitterrand mais aussi pendant la première cohabitation, avec Jacques Chirac Premier ministre et Charles Pasqua ministre de l’Intérieur. Qui lance sans aucun état d’âme ses « voltigeurs » pour réprimer les manifestations. Deux policiers sur une moto, l’un conduit et l’autre frappe avec un long manche en bois qu’ils surnomment le « bidule ». Ces voltigeurs sont apparus et ont fait leurs preuves durant le mois de juin 68. En 1986, ils tabassent à mort un étudiant, Malik Oussekine. Or il se trouve que le même jour, un policier totalement ivre abat Abdel Benyahia à Pantin alors qu’il n’est même pas en service.
Une affaire politique
Toute cette histoire, Rachid Bouchareb nous la raconte en images. Des documents de télévision, par petites touches, donnent tous les éléments. Mais ce qui l’intéresse, son réel regard sur ces deux événements, c’est la violence policière. Et pour avoir un point de vue rassembleur sur les deux affaires qui n’ont en fait rien en commun, sinon la coïncidence temporelle, il a inventé un personnage d’inspecteur de l’IGS (Raphaël Personnaz) chargé de contrôler les remous. De prévenir les familles aussi, ce dont on l’empêche pour Abdel. Deux morts par violence policière en ces temps troublés, c’était trop à la fois. Il ne peut pas cacher la mort de Malik, car sa famille est trop en colère et veut à tout prix savoir. Elle fait appel à maître Keijman, un proche de Mitterand, pour s’en occuper. D’ailleurs François Mitterand lui-même ira s’excuser auprès de la famille. C’est dire combien tout cela est politique. L’inspecteur enquête et interroge le policier voltigeur le plus responsable. Dans une séquence ambiguë de vrai-faux document d’époque, Rachid sème le doute sur la partie documentaire et la partie fictionnelle du film. Depuis plusieurs années, on documente la fiction comme on fictionne le documentaire. Il est parfois difficile de tout démêler et Rachid joue sur cette difficulté. Un peu trop, peut-être, sans y trouver plus d’information ou de puissance narrative.
Les voltigeurs. Photo Guy Ferrandis
Par ailleurs, le film ne cherche pas à reconstituer. Il nous fait entrer dans les deux familles atteintes par ces drames qui leur tombent dessus de manière incompréhensible. D’ailleurs le père d’Abdel, (Samir Guesmi), semble totalement dépassé par le destin. Bouchareb met en scène l’entourage des deux jeunes gens, leur famille, leurs amis, leurs lieux de vie et leurs quartiers. Et l’effondrement des proches lorsqu’ils apprennent les faits, l’incompréhension de cette violence policière, tombée sur deux jeunes d’origine arabe qui eux n’avaient aucune révolte, aucune violence. D’autant que cette répression est quasi revendiquée par les pouvoirs publics, en tout cas justifiée par des mensonges grossiers. De très beaux personnages marginaux, comme l’employé de la morgue (Wabinlé Nablé), bénit dans sa langue ces deux victimes du racisme.
Un sujet dans l’air du temps
Une série actuellement sur Disney+ s’attache à cette affaire, sans faire le lien entre Malik et Abdel. Trente-cinq ans après, on se rend compte que le racisme est toujours là, que des jeunes Français d’origine étrangère en sont toujours victimes, et que ce sujet est totalement d’actualité. D’autant que les voltigeurs, dissous après l’affaire Oussekine, sont réapparus sous un autre nom, équipés de LBD et non plus de bidules, pendant les manifestations des gilets jaunes. Le film n’en dit rien, ce n’est pas son propos. Il montre seulement l’inspecteur de l’IGS ne partageant pas la position des autorités, même s’il remplit le rôle qu’on lui demande. Ironie de l’histoire, Devaquet, débordé par les événements, démissionne le lendemain de la mort de Malik et son projet est retiré. Toute cette violence d’Etat pour rien !