Le Forum des droits humains d’Orléans proposait ce samedi 19 novembre 2022 au MOBE un colloque intitulé Migrations et exils au XXIe siècle, entre fables et réalités. Avec un constat amer du côté des associations locales d’aide aux migrants.
Par Sophie Deschamps et Gérard Poitou
Migrant.e.s. Oeuvre d’Anne Paquier exposée fin mai 2022 à Saint Jean de Braye. Photo Sophie Deschamps
Pour son grand retour dans le débat public, le Forum des droits humains d’Orléans a fait salle comble ce samedi 19 novembre à l’auditorium du MOBE avec son colloque Migrations et exils au XXIe siècle, entre fables et réalités. Une manifestation motivée pour le FDH d’Orléans par le fait que « entre approximations et contrevérités, les populations sont confrontées à des déclarations issues de formations politiques ou de prescripteurs d’opinion peu soucieux du respect des droits humains et de la réalité de l’exil et des migrations.»
De plus, le comité d’organisation avait bien fait les choses en invitant des sommités nationales tout en donnant la parole aux associations locales d’aide aux migrants.
Il faut dire que cette question est au cœur de l’actualité avec l’accueil de 100 000 réfugié.e.s qui ont fui l’Ukraine depuis le début de la guerre fin février. Et plus récemment encore avec le feuilleton interminable de l’accueil en France des 234 exilé.e.s du navire Océan Viking.
En ouverture du colloque, le sociologue, anthropologue et démographe François Héran, qui occupe la chaire « Migrations et Société » au collège de France a rappelé chiffres à l’appui (voir encadré) le décalage entre les discours politiques et médiatiques sur l’immigration et la place réelle qu’elle occupe en France.
En ouverture du colloque, François Heran nous rappelait que dans le débat public sur l’exil et les migrations, il convient de défendre des valeurs en s’appuyant sur des données. Dans un limpide exposé, François Héran, reprenant des données d’un article publié dans le Monde, décrivait la place de la France dans le phénomène mondial des migrations en démontant pas mal d’idées reçues et colportées ad libitum par les médias. Ainsi, si en vingt ans l’ONU constate que la population immigrée a cru de 62% à l’échelle mondiale, cette croissance n’est en France que de 32% loin derrière la dynamique mondiale. De même, si les titres de séjour délivrés chaque année ont augmenté de 37 % de 2005 à 2021, une hausse régulièrement pointée comme une dérive incontrôlée, elle s’explique à 54 % par la migration estudiantine, à 27 % par la migration de travail et à 24 % par la migration de refuge, la migration familiale régulièrement dénoncée, n’est pour rien dans cette hausse, puisqu’elle a reculé de 10 % depuis 2005, Beaucoup de données erronées, tronquées ou falsifiées dans ce débat, alors que François Heran concluait sur l’intégration des migrants par le constat que seulement 5% de la population déclarent, dans une récente étude démographique, quatre grands parents immigrés à la troisième génération.
GP
De son côté Claude Calame, anthropologue et membre de l’espace de travail Migrations d’ATTAC a rappelé les raisons multiples qui poussent des personnes à l’exil, soulignant au passage « la domination des pays riches sur les plus pauvres, destructeurs de ce fait des communautés sociales et de leur environnement.»
Deux poids, deux mesures selon l’origine des migrant.e.s
Ce colloque s’est ensuite intéressé au vécu des exilés en Europe, en France et à Orléans. Claire Rodier, juriste et membre du Groupe d’Information et de soutien des immigrés, le GISTI et du réseau Migreurop. Elle est revenue sur l’actualité récente en comparant l’énorme différence sur le sort réservé aux Ukrainien.ne.s depuis février et celui réservé aux 234 exilé.e.s du navire Océan Viking. Avec d’un côté 100 000 personnes accueillies à bras ouvert et libres de circuler dans l’Hexagone et de l’autre 234 personnes tolérées temporairement « à titre exceptionnel »sur le sol français puis confinés dans un centre de vacances avec interdiction de le quitter. Deux poids, deux mesures dénoncé par Najat Vallaud-Belkacem, Présidente de France Terre d’Asile le 17 novembre à Orléans.
L’anthropologue Filippo Furri, membre lui aussi du réseau Migreurop a dénoncé, je cite « l’invisibilisation de ce qui se passe en Méditerranée avec des disparitions importantes de personnes en mer » Il fustige également l’hypocrisie des pays européens «solidaires entre eux pour accueillir le moins de migrants possible en durcissant les critères de sélection.»
Pour sa part, Christian Eypper, délégué régional de la Ligue des droits de l’Homme a brossé un rapide historique des centres de rétention administrative. Pour lui « un CRA, c’est une prison qui ne dit pas son nom » avec là aussi un durcissement de la législation depuis la légalisation de ces centres sous François Mitterrand en 1981 et notamment des délais de rétention passés au fil des ans de 6 jours à 90, y compris pour des mineurs.
D’où la levée de boucliers de citoyens contre l’ouverture d’un CRA à Olivet en 2023.
Mauvais accueil des demandeurs d’asile à la préfecture du Loiret
Car les conditions d’accueil des demandeurs d’asile n’est pas reluisante dans le Loiret et notamment en préfecture à Orléans. Les associations d’aides aux migrants comme Janine Carien, membre de l’ASTI déplorent le fait d’être les seules personnes à rencontrer ces étrangers physiquement à cause notamment de la numérisation des services de l’État. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller faire un tour sur le site internet de la préfecture du Loiret dédié aux demandeurs d’asile, véritable parcours du combattant, écrit en une seule langue et une ouverture aléatoire de la fenêtre permettant la prise de rendez-vous. Un constat résumé dans cette formule lapidaire : « Administration sans contacts, étrangers déconnectés. »
D’ailleurs, pour conclure ce colloque, Solange Lauzanne membre de la CIMADE à Orléans n’a pas mâché ses mots : « La loi loin d’être laxiste (comme certains partis politiques le sous-entendent, NDLR) se durcit sans cesse. Avec le paradoxe de fabriquer des sans-papiers car plus il est difficile d’entrer en France, moins les personnes en repartent.»
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