Alors que les mutilations génitales féminines diminuent en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie, on constate depuis quelques années un essor de la chirurgie esthétique sur les organes sexuels féminins dans des pays occidentaux (France, Royaume-Uni, Suisse, États-Unis, Australie). Les temps changent mais pourquoi le sexe des femmes reste-t-il toujours agressé par des scalpels ?
Par Jean-Paul Briand
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) considère que « les mutilations sexuelles féminines recouvrent toutes les interventions incluant l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute autre lésion des organes génitaux féminins qui sont pratiquées pour des raisons non médicales ». Or la chirurgie cosmétique des organes génitaux féminins n’est que très exceptionnellement justifiée pour des raisons thérapeutiques. Comme les mutilations génitales féminines (MGF), elle entraîne des modifications sexuelles. Au vu de la définition OMS, la chirurgie esthétique génitale peut donc être considérée comme une authentique mutilation. Néanmoins, dans la pensée collective, pour les pouvoirs publics et les organismes internationaux les MGF sont de terribles violences et des atteintes aux droits fondamentaux des femmes, alors que la chirurgie cosmétique des organes génitaux féminins est considérée comme une intervention d’embellissement répondant à une démarche individuelle. Cependant, ces deux pratiques n’auraient-elles pas des choses en commun ?
Baisse des MGF dans les pays concernés
Il existe des différences considérables entre MGF et chirurgie cosmétique. La chirurgie génitale cosmétique moderne concerne des femmes qui font un choix. Ces interventions sont autorisées, y compris sur des mineures. A contrario, les MGF sont pratiquées sur de toutes jeunes filles qui n’ont pas la possibilité de refuser. Les MGF sont punies par la loi dans de nombreux pays où elles sont devenues désormais illégales. Aujourd’hui dans les 30 pays les plus concernés par les MGF, seuls le Cameroun, la Gambie, l’Indonésie, le Liberia et le Mali n’ont pas encore adopté de loi interdisant ces pratiques qui régressent partout dans le monde.
Les MGF sont des pratiques ancestrales alors que la « chirurgie intime » occidentale ne connaît une très forte augmentation que depuis ces dernières années. Dans la plupart des pays, la forme des MGF majoritaire est l’excision. Elle consiste en l’ablation partielle ou totale des petites lèvres avec ou sans ablation du clitoris et des grandes lèvres. Les complications des MGF à court et à long terme sont redoutables sur la santé, la sexualité et la procréation (infections, douleur, hémorragies, rétention urinaire, complications obstétricales) des femmes qui en sont victimes.
La labioplastie, connue également en France sous le nom de nymphoplastie, est l’intervention la plus pratiquée. Elle consiste à raccourcir la taille des petites lèvres de la vulve. Même si les travaux manquent encore sur le sujet, les complications semblent rares. Contrairement aux MGF, ces opérations sont en effet effectuées sous anesthésie, en milieu aseptisé avec toutes les précautions et protections recommandées en chirurgie moderne.
L’influence décisive de la pornographie
Selon une idée reçue, les MGF seraient des actes de domination masculine et la chirurgie cosmétique une conduite d’émancipation de la femme. Pourtant, mutilation et chirurgie partagent le fait qu’elles s’imposent l’une et l’autre au corps des femmes sur la base de normes et d’attentes culturelles d’ordre patriarcal. Si les MGF répondent aux exigences des membres d’une même communauté (parents, familles, époux), la chirurgie esthétique génitale est une démarche qui semble obéir à un idéal de plus en plus dominant de l’identité féminine occidentale. C’est une pratique considérée comme un moyen d’améliorer l’attractivité de la femme sur laquelle les canons esthétiques et sexués pèsent beaucoup plus fortement que sur l’homme. Le choix de se soumettre à ce type d’opération chirurgicale est certes individuel mais c’est également le résultat de l’évolution des normes majoritairement dictées par les hommes et qui va jusqu’à définir le caractère désirable des sexes féminins.
En effet, une étude prospective anglaise de 2020 a montré que de nombreuses femmes, ayant eu recours à une nymphoplastie, disent avoir été influencées par la pornographie. En matière sexuelle, l’industrie cinématographique pornographique, réalisée et regardée essentiellement par les hommes, a aujourd’hui une influence de plus en plus décisive. Elle montre des vulves opérées, sans lèvres et sans poils, qui permettent de filmer l’acte sexuel directement sans aucune dissimulation. C’est encore l’homme qui donne la référence pour ce modèle de sexe qui influencerait nombre de femmes candidates à « la chirurgie de leur intimité ».
A toutes les époques, la société a exercé une pression considérable pour imposer aux femmes des idéaux esthétiques. Aujourd’hui, elles ont une obligation de beauté, d’avoir un corps jeune et plaisant quel que soit leur âge. Ainsi de plus en plus de femmes cèdent à cette tyrannie du jeunisme en souhaitant qu’on leur ôte une partie saine de leur vulve afin de lui redonner l’apparence d’un sexe pré-pubère.
Pas de remise en cause de ces interventions dans l’espace public
Le mot de « mutilation » renvoie à la fois à la gravité de l’acte mais également au caractère « barbare » de ces coutumes qui, dans le débat public, sont considérées comme une question essentiellement ethnique ou raciale d’un autre temps. En utilisant des termes techniques de « labioplastie » et de « nymphoplastie de réduction » on inscrit cette atteinte chirurgicale des organes sexuels féminins dans la sphère médicale. Ainsi la remise en cause de ces interventions, ouvrant un marché lucratif, n’est pas débattue dans l’espace public comme un sujet lié au statut féminin actuel ou aux rapports de domination et inégalitaires entre les hommes et les femmes dans les sociétés occidentales.
Si les sociétés luttent contre l’abomination des MGF, ne doivent-elles pas s’interroger sur les idéologies modernes qui poussent certaines femmes à subir la lame du bistouri afin de modifier leurs organes génitaux ?
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