Armaggedon Time est un grand retour de James Gray vers son enfance. Avec un casting formidable, il reconstitue l’ambiance de sa jeunesse dans le Queens, et se souvient de sa confrontation au racisme ambiant qui le sépara de son ami noir pour la vie. Film totalement maîtrisé, qui ramène son auteur dans les sommets des réalisateurs/auteurs américains, dans la lignée de son grand frère Woody Allen.
Par Bernard Cassat
Les deux amis Paul (Banks Repeta) et Johnny (Jaylin Webb). Photo Focus Features, LLC.
Après des incursions dans la jungle (The lost city of Z, 2017) et dans l’espace (Ad Astra, 2019), James Gray revient chez lui, à New York, et dans les fondamentaux de son inspiration, sa propre vie, son enfance. Restant un très grand narrateur, comme on dirait pour un romancier, il retrouve ce qu’il a déjà abordé dans son premier film, Little Odessa (1994), réalisé à l’âge de 25 ans et promu très rapidement au rang de chef d’œuvre.
Une trame autobiographique
Dans Armaggedon Time, la famille, toujours aussi juive, vit dans un monde plus cossu, mais toujours dans le Queens. Elle est très proche de la véritable famille de James. A partir de ces éléments autobiographiques, il s’est attelé à une reconstitution minutieuse des années 80. La technique de filmage, en numérique puis travaillé sur de la pellicule repassée ensuite en numérique, donne des images très proches de celles filmées à l’époque, avec une sorte de léger voile, un flouté doux sur des couleurs presque passées. La reconstitution au niveau des lieux, des décors intérieurs, des costumes va très loin, avec le climat politique des années Reagan en toile de fond.
Paul Graff, élève très moyen à l’école publique, se trouve confronté au racisme endémique de la société américaine. Il se fait épingler le premier jour pour une réplique à un professeur. Johnny, un élève noir, aussi. Et ils vont rapidement devenir copains. A tel point qu’ils partagent un joint dans les toilettes, ce qui sera le début de leur perte. Les parents de Paul décident de le changer d’école pour le mettre dans le privé. Il arrive donc dans l’école hallucinante de Trump, le père du célèbre Donald. On y accueille les élèves avec un discours incroyablement dominant martelé par la sœur de Trump, une femme d’affaires qui a réussi.
Une petite fugue dans Central Park. Photo Focus Features, LLC.
Une séquence exemplaire montre Paul dans la cour de sa nouvelle école, pas très à l’aise avec les autres, tous WASP* pur jus. Johnny arrive à l’extérieur, s’approche de la clôture et parle à Paul encore plus mal à l’aise. L’image a tout du zoo. Mais on ne sait pas où est l’intérieur de la cage, où est l’extérieur, qui est libre, qui est enfermé. La réaction des élèves est sidérante pour nous maintenant, mais correspond aux années 80 aux US. Ils n’en reviennent pas que Paul, un blanc, puisse connaître un noir, et que celui-ci soit venu chez lui. Paul prend conscience de ce racisme, et en même temps de sa fuite devant le problème. Il ne défend pas son ami noir, comme s’il avait honte de le connaître. Son grand-père, avec qui il est en profonde relation, lui met plus tard les points sur les i. Et bien sûr met en relation le racisme anti-juif et anti-noir.
La violence du monde des adultes
Qui trouvera son paroxysme après la bêtise que font les deux gamins, voler un ordinateur dans l’école de Paul, le revendre avec l’intention de partir vivre en Floride. Arrestation, police et interrogatoires. Heureusement pour Paul, il s’en sort grâce à son père. Johnny, lui, restera au commissariat, disparaitra dans l’inconnu raciste de ce monde feutré mais terriblement violent dans sa structure.
Cette reconstitution, qui est aussi une vision romantique du passé, manie les émotions profondes d’un jeune tout à coup confronté à la violence de la ségrégation. Il faut qu’il sache qu’en tant que Juif, il peut être traité comme un Noir. Son grand père répète clairement que la société américaine, cette société du rêve, a quand même remis à leur place les Rabinovitch qui échappaient aux camps. Qu’il faut « être un mensch », sinon rien. Passer de l’insouciance enfantine à la rudesse adulte.
Paul et son grand-père (Antony Hopkins). Focus Features, LLC.
Banks Repeta, le jeune acteur époustouflant qui tient le rôle de Paul, assume tout cela sur son visage. Antony Hopkins en grand-père juif chef de famille fait passer en peu d’images une très grande intelligence émotive. Cette qualité de jeu, cette qualité de réalisation nous entraîne dans un film confortable, reposant. On peut se confier à l’écran, se laisser envahir par l’histoire. Même si elle est rude, on sait que le film tiendra jusqu’au bout parce qu’il est plein de tendresse. Celle que James Gray met dans son travail. D’où un merveilleux moment de cinéma.
*White Anglo-Saxon Protestant
Plus d’infos autrement: L’œuvre de Charlotte Salomon : sa vie