L’ex-ministre Najat Vallaud-Belkacem était l’invitée ce jeudi 17 novembre 2022 de la nocturne féministe du FRAC Centre Val-de-Loire. La directrice de l’ONG ONE est venue parler des leçons féministes de la crise du Covid avec son livre La Société des vulnérables, co-écrit avec la philosophe Sandra Laugier. Un ouvrage vif et incisif qui a le mérite de mettre en avant des vérités dérangeantes.
Par Sophie Deschamps
Ce n’est pas tous les jours que le FRAC reçoit une ex-ministre à Orléans. Même si Najat Vallaud-Belkacem est directrice de l’ONG ONE depuis le 7 avril 2020, et plus récemment. présidente de France Terre d’Asile, elle est bien sûr largement revenue sur son expérience de ministre chargée du droit des femmes entre 2012 et 2014, (un ministère qui avait disparu pendant 26 ans, NDLR) puisqu’elle était l’invitée de la nocturne féminisme de Novembre.
Une femme qui reste résolument du côté des femmes avec son livre La société des Vulnérables, leçons féministes d’une crise co-écrit avec la philosophe Sandra Laugier et publié en septembre 2020 en pleine crise du Covid dans la collection Tracts Gallimard.
C’est Abdelkader Damani, directeur du FRAC qui a mené la discussion. Beaucoup de thèmes ont été abordés durant plus d’une heure. En voici quelques extraits en commençant tout d’abord par la vulnérabilité :
Tous mes engagements passés et actuels tournent autour de la vulnérabilité parce que pour moi le vrai rôle du politique est d’être au service des plus vulnérables, c’est-à-dire de ceux qui ne peuvent compter que sur des services et des politiques publiques adapté.e.s. Et depuis trois années que j’ai décidé de faire un pas de côté et de m’engager dans le monde des ONG, c’est clair que j’ai encore une fois été attirée par cette question des plus vulnérables, notamment le souci des populations les plus pauvres dans les pays du Sud mais aussi le sort des demandeurs d’asile en France.
J’estime que la façon dont les politiques publiques répondent à cette question de la vulnérabilité, c’est précisément ce qui permet de juger la bonne santé ou non d’une société.
“Tout commence par la discrimination des femmes”
Mais Najat Vallaud-Belkacem place la discrimination entre les hommes et les femmes comme étant celle qui conditionne toutes les autres :
Parce que la première des hiérarchies qui a été créée entre les êtres, c’est bien celle entre les sexes. C’est pour cela d’ailleurs qu’en arrivant ici au FRAC je souriais en voyant dans la cour la grande toile Fuck Patriarcat. Merci de l’assumer et de le dire comme ça. Car ce qui est en jeu lorsque l’on combat le patriarcat, c’est un monde de hiérarchies. Et ne vous y trompez pas dans ce monde qui déconsidère une partie des individus, on retrouve aussi bien le sexisme que le racisme. Parce qu’à partir du moment où vous vous convainquez que tous les êtres ne se valent pas vraiment, alors vous allez appliquer ça sur tout un tas de critères : l’ethnie, l’orientation sexuelle…
Mais à la base de tout cela, de façon historique et documentée et quelles que soient les sociétés à travers le monde, ça commence toujours par une hiérarchie entre les hommes et les femmes. Et il ne faut pas s’illusionner par l’idée qu’il y aurait des pays où l’on ne connaîtrait plus du tout ça, où l’on serait passé à autre chose. En fait, ce n’est pas du tout le cas.
Le mépris du domaine pourtant essentiel du Care
D’ailleurs, notre livre La société des Vulnérables nous a été dicté par l’irritation que l’on a ressenti au moment de la crise du Covid. Nous avons en effet constaté que Simone de Beauvoir avait raison lorsqu’elle disait qu’il suffira d’une crise pour que les droits des femmes soient remis en question. Car cette crise, par sa spécificité, donnait le sentiment que les femmes allaient être mieux valorisées et mises en lumière, ne serait-ce que parce qu’elles constituent le gros des bataillons des soignants, des premiers de corvée et des métiers de première nécessité qui prennent soin de nous justement et que l’on a tellement applaudis à nos fenêtres.
Mais la vérité c’est que, très vite, elles ont totalement disparu à la fois de l’analyse de la situation, du discours politique sur ce qui était en train de se passer et évidemment de la conception des réponses et des solutions politiques à apporter.
Souvenez-vous de ces tribunes publiées dans la presse et qui n’étaient signées que par des hommes. Ces couvertures de journaux sur le monde de demain où comme hasard on ne trouvait plus aucune femme à mettre en avant. Ces plateaux-télé où l’on interrogeait plus que des hommes. Sans oublier les conseils de défense autour du Président de la République totalement masculins alors que soi-disant on avait la parité au gouvernement, c’était flagrant.
Quand j’étais ministre du droit des femmes, je disais que le combat pour le droit des femmes c’est comme le vélo : quand on arrête de pédaler, on ne fait pas du surplace, on tombe. Et on régresse parce que, malheureusement, la tentation naturelle de nos sociétés notamment avec la montée des populismes, c’est de nous tirer en arrière du point de vue du droit des femmes. Regardez la remise en cause de l’IVG en Pologne et aux États-Unis…
Car si les leçons féministes du Covid ont été clairement identifiées, elles sont loin aujourd’hui d’être appliquées dans notre société qui s’est empressée de retrouver ses mauvais réflexes du monde d’avant, en oubliant très vite selon la formule percutante de Najat Vallaud-Belkacem « le primat de la qualité de vie sur toute autre considération ».
Plus d’infos autrement sur Magcentre : Nocturne féministe avec Céline Piques