Retrouver la Santé ? L’intercommunalité n’est pas la panacée

Le colloque organisé à l’Hôtel Dupanloup d’Orléans mercredi 9 et jeudi 10 novembre a offert, à défaut d’une solution miracle pour éradiquer les déserts médicaux, un vaste panel d’expériences innovantes sur le territoire français en matière de coopération intercommunale dans le domaine de la santé, des 22 métropoles aux communautés de communes rurales.

Par Pierre Allorant

Juste au sortir d’une pandémie mondiale qui a remis au premier plan le duo classique depuis 1800 du maire et du préfet, la métropole d’Orléans, les territoires environnants de l’Orléanais et leur université ont bénéficié en 2022, de décisions publiques au plus haut niveau inédites en métropole depuis un demi-siècle, au moment où l’équipe de recherche pluridisciplinaire orléanaise du programme national POPSU Métropoles entamait la dernière phase de son travail de recherche action sur « la métropole et les autres » centrée sur la santé, à la fois l’accès à l’offre de soins et les déterminants de la santé. Elle a souhaité élargir la réflexion aux autres intercommunalités, grâce à une comparaison des initiatives prises, des hygiénistes du XIXe siècle à l’actuelle métropole de Lyon, en passant par les hôpitaux, de proximité et les intercommunalités rurales.

Hygiénisme et urbanisme

Concetta Penutto, qui anime le nouvel axe de la MSH Val de Loire « La Santé dans tous ses états », a retracé les travaux de l’hygiéniste manceau Le Brun, porte son attention sur la topographie de la ville, à l’environnement et à la population dans un but préventif, avec un accent mis sur « les airs, les eaux, les lieux », mais aussi de la végétation et des animaux, en une sorte d’anticipation de « One Health », la santé globale. L’étude des fontaines et des puits, des prisons, des boucheries, des cimetières et des hôpitaux, lieu de « compassion et de charité », d’accueil des enfants abandonnés et des aliénés, est liée à la vague des travaux d’enquêtes lancée dès le XVIIIe siècle face aux épizooties pour scruter les comportements sociaux, les mœurs, l’alimentation, la démographie. Ainsi le médecin porte-t-il un regard critique, très contemporain, sur l’administration des hôpitaux, appelant à fonder l’organisation du soin sur le respect du travail des soignants et l’attention aux conditions de vie des patients.

Hôpital de proximité

Avec une telle entrée en matière, les approches « impressionnistes » ont eu tout loisir de se déployer, en évitant la tentation que l’hôpital ne se moque de la charité, dont il est issu. Hôpital, vous avez dit hôpital, « l’homme malade » du système de santé publique français ? Le professeur toulousain Mathieu Touzeil-Divina a montré pourquoi « l’hôpital de proximité est à la santé ce que la pédagogie est à l’Université : un idéal et parfois un label sinon un mythe plus qu’une réalité », l’objectif de proximité masquant étatisation et risque de relégation au statut d’hospice de vieillards, distingué de l’hôpital de soins depuis 1840.

Les outils de la coopération intercommunale

Plusieurs intervenants ont revisité les outils de coopération intercommunale, du Contrat Local de Santé parfois métropolitain (Nolwenn Duclos) à la Communauté Professionnelle Territoriale de Santé, en passant par le recours des élus à la création des Maisons de Santé Pluridisciplinaires. La place des élus communautaires dans la gouvernance du service public de soins demeure marginale et peu étendue par les lois successives jusqu’à la récente loi 3DS ouvrant l’expérimentation et la différenciation. De même les ARS, malmenées lors de la crise Covid, n’ont fait qu’entrouvrir la porte, l’Etat gardant la direction. Dans les réponses aux déserts médicaux, l’augmentation du stock de médecins formés par le desserrement du « numerus clausus » alterne avec la recherche de l’augmentation du temps médical (Asalee, Infirmiers aux Pratiques Avancées), et avec une régulation de l’installation qui pointe timidement à travers la 4e d’internat en zone carencée. En attendant, l’essor des MSP dans les marges rurales et les espaces périurbains sous-dotés a favorisé l’installation de jeunes médecins, désireux d’une pratique en équipe pluridisciplinaire.

Accès aux soins et déterminants de la « santé-bien-être » : vers des métropoles hospitalières ?

Mais la santé, au sens de l’Organisation Mondiale de la Santé, est loin de se limiter au seul accès aux soins, pour englober tous les déterminants d’une vie en bonne santé physique et mentale, d’un bien-être et d’une qualité de vie assurés. À cette aune, les documents d’urbanisme tiennent une place majeure comme instrument d’intervention environnementale et de planification urbaine (Corinne Manson), en particulier les PLU intercommunaux qui envisagent habitat, logement, déplacements, pollution, risques et pèsent pour les 4/5e de la santé d’un habitant. La médecine de prévention, scolaire, du travail, universitaire et potentiellement intercommunale est le parent pauvre du système français, encore trop hospitalo-centré et curatif. Le sport-santé apparaît en plein développement au moment où explosent obésité, diabète et maladies liées à l’excès de sédentarité, singulièrement chez les jeunes (70% des adultes, 90% des enfants), rendant indispensable l’articulation avec le projet alimentaire, le plan de déplacement, le projet éducatif, pour une qualité de vie durable. L’objectif de « ville hospitalière », avec les modèles étrangers de Gand et de Vancouver, s’impose au détriment de la trop fameuse « attractivité » d’un marketing territorial réduit à des slogans publicitaires.

Réciprocité, solidarité, innovation

Instrument prometteur de solidarité ville-campagne, par exemple entre la métropole de Tours et les intercommunalités d’Indre-et-Loire, le contrat de réciprocité (Julien Thomas) laisse encore sur leur faim les acteurs des territoires, tel le président de Loches Sud Touraine qui ne voit guère venir de solidarité concrète, sans doute faute d’un vivier suffisant de professionnels apte à satisfaire une « gouvernance collaborative » (Nathalie Dubost). Dépourvu d’un tel contrat, la communauté de communes des Loges illustre un volontarisme politique à l’écoute des citoyens et des praticiens, et aboutissant à une véritable politique de santé jusqu’à l’ouverture récente du premier centre régional du GIP Pro santé à Jargeau.

Titulaire de la chaire de Santé publique à Sciences Po, le docteur Yann Bourgueil a ausculté l’intégration de l’intercommunalité dans le système des soins de proximité, rappelant l’excellence du modèle établi à la Libération, puis les performances du système dual pensé par Robert et Michel Debré en 1958, CHU/médecine libérale ambulatoire, cette organisation ne fournissant plus la réponse au vieillissement et à la pénurie de professionnels et de moyens.

Couronner la recherche-action en Santé publique

Dès l’ouverture, l’importance de la question et des travaux de cette recherche avait été marquée par la présence en soutien de la Présidente du programme national, la sociologue toulousaine Marie-Christine Jaillet, de l’Architecte urbaniste en chef de l’Etat Hélène Peskine, secrétaire permanente du Plan urbanisme construction architecture, du Premier Maire Adjoint d’Orléans Florent Montillot et du Président de l’université, Eric Blond. Tous ont relevé l’originalité de cette focalisation des acteurs du territoire sur l’accès aux soins et ses choquantes inégalités sociales et territoriales, et le caractère totalement inédit de l’impact d’une publication qui a abouti sur le bureau de l’ancien premier ministre Jean Castex, contribuant, avec « l’union sacrée » des élus régionaux et de la société civile (CESER) à une décision politique majeure : la première création en métropole d’un CHU et d’une faculté de médecine depuis 1976, réalisée entre fin février et le 1er septembre 2022.

Mais en attendant les effets, la décennie qui vient s’annonce redoutable. Raison de plus pour continuer à travailler ensemble, entre chercheurs, élus, agences d’urbanisme, services des collectivités. Pourquoi dans le nouveau programme des « Transitions » lancé en 2023, saison 4 de « POPSU métropole », en l’ouvrant à d’autres territoires loirétains et ligériens ? Avec le BRGM, le campus Université-CNRS, l’OSUC, les pôles de compétitivité et bientôt l’INSERM, Orléans a toutes les cartes pour y contribuer, sans exclusive des partenaires régionaux naturels, pour mettre un point final aux stériles querelles de clocher de ses villes cathédrales.

Plus d’infos autrement: Les jeunes médecins en congrès à Orléans

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  1. Réformer aussi les études de médecine et inciter fortement les jeunes diplômé-e-s à travailler en ruralité pendant au moins 3 ans, en les aidant financièrement dans leurs études par exemple, puisque les incitations financières à l’installation ne semblent pas efficaces…Inciter les médecins bien installés à prendre des remplaçants pendant leurs congés : trop souvent, leur clientèle se retrouve sans possibilité de consulter ou alors obligée de faire des dizaines de kms !

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