Riposte Féministe. C’est le titre du documentaire dédié aux féministes qui font des collages sur les murs des villes, un peu partout en France depuis août 2019. Un long-métrage signé Marie Perennès et Simon Depardon présenté à Cannes et projeté au cinéma depuis le 9 novembre 2022. Une incursion éclairante au coeur d’une initiative féministe novatrice.
Par Sophie Deschamps
« À bas l’ordre bourgeois et l’ordre patriarcal, à bas l’ordre hétéro et l’ordre capitalo ». Riposte Féministe s’ouvre sur une manifestation féministe d’aujourd’hui qui reprend ce vieux refrain du MLF, faisant ainsi le pont avec leurs aînées tout en inventant d’autres façons de militer et d’être visibles dans l’espace public.
En effet, il existe aujourd’hui en France 200 collectifs de “colleuses” en France. Pour certaines, il s’agit de leur première action féministe, car facile et accessible : « On peut le pratiquer sans avoir besoin d’être encartée où que ce soit » glisse l’une d’elles. Des femmes, des hommes aussi parfois, qui la nuit venue collent des slogans sur les murs des villes pour dénoncer les féminicides, les viols et les violences sexistes, fruits du patriarcat. Un mouvement apparu à Lyon en août 2019 et qui ensuite a fait tâche d’huile. Pour Marie Perennès co-réalisatrice du film, il était important de documenter cette forme inédite d’expression féministe. Avec Simon Depardon, elle est allée à la rencontre de dix collectifs à Lyon donc, puis au Havre, Marseille, Montpellier, Brest, Paris, Compiègne, Amiens et dans des communes plus petites telles que Monbrison, dans la Loire et Gignac, dans le Lot.
Avec partout la même ardeur mêlée de joie et de rage de jeunes femmes à exposer leur colère sur les murs avec des slogans coup de poing qui font mouche comme : Je te crois, Pas un.e de plus, Non c’est non, Le sexisme est partout, nous aussi, Le consentement c’est révocable, tu as le droit de changer d’avis, la honte doit changer de camp ou plus directs : Ta main sur mon cul, ma main sur ta gueule, Fachos, machos, les lesbiennes auront ta peau.
La parole à dix collectif de colleuses
La caméra, discrète, fixe ces moments collectifs de collages parfois très éphémères puisqu’il n’est pas rare qu’ils soient décollés quelques minutes ou quelques heures après avoir été exposés à la vue de toutes et tous.
Peu importe l’identité de ces jeunes femmes dont on découvre les prénoms dans le générique de fin, elles revendiquent toutes la même chose : refaire de la rue un espace public sécurisé, de nuit comme de jour mais aussi rétablir la dignité et la sincérité des victimes : « Quand tu écris sur les murs que la honte doit changer de camp, c’est libérateur, ça fait du bien parce que tu réalises que tu n’es pas tout seule à avoir subi des violences et surtout que ce n’est pas de ta faute. J’ai malheureusement été agressée plusieurs fois et à chaque fois on m’a demandé comment j’étais habillée. C’est la force du slogan “Je te crois” parce que c’est trop souvent ce que l’on oublie de dire aux victimes ».
Ce qui ne veut pas dire en revanche qu’elles sont d’accord entre elles sur les moyens de mettre fin à ces violences mais elles s’écoutent et débattent avec véhémence parfois mais toujours avec respect, notamment sur le recours ou non à la violence.
Des témoignages forts
Des moments forts rythment aussi ce film car ces actions collectives libèrent aussi la parole comme cette jeune femme qui raconte comment elle a été sous l’emprise de son compagnon, violent, durant deux ans : « Un soir, drogué, il m’a dit : “Et si je te tuais maintenant ?” Ça a été le déclic, j’ai attendu qu’il sorte de la chambre, j’ai pris un sac d’affaires et je suis partie. J’ai appelé le 115 à Quimper et j’ai eu un hébergement d’urgence le soir même, puis des aides. C’est comme ça que j’ai pu m’en sortir. Mais lorsque j’ai porté plainte au commissariat, on m’a déclaré : faites-en sorte que cela ne vous arrive plus ! Donc, en gros, c’était de ma faute ».
Ce sont aussi ces grandes manifestations parisiennes qui réunissent des milliers de personnes dans les rues de la capitale depuis 2019, mais aussi cette marche blanche de 250 personnes en août 2020 après l’assassinat de Manon, 19ans, à Vignancourt (Somme) de plusieurs coups de couteaux par son ex-compagnon de 26 ans, ex-gendarme.
Se réapproprier la rue
Ces équipées nocturnes joyeuses dans la rue permettent aussi à la peur de changer de camp : « Moi, depuis que je colle, je sors dans n’importe quelle tenue, je rentre à n’importe quelle heure, je m’en fous. Vas-y, viens me parler, je vais te hurler dessus, je vais t’insulter, je n’ai plus peur quoi ! » Une autre colleuse ajoute : « Les collages, ça m’a aussi appris qu’il y a une vraie construction sociale autour de à qui appartient l’espace public. Les collages permettent de se réapproprier cet espace qui appartient en fait aux hommes cis blancs.»
Quelques rares élu.e.s s’intéressent à elles à l’instar de la sénatrice de l’Oise Laurence Rossignol, vice-présidente du Sénat et ex-ministre des droits des femmes de François Hollande. Au cours d’une discussion avec quelques colleuses, elle propose que les mairies de chaque ville mettent à leur disposition un mur pour leurs collages. Une suggestion toutefois rejetée par les colleuses qui expriment le besoin d’apposer leurs slogans à des endroits de leur choix plutôt qu’imposés. Aussi, admettent-elles pour garder le frisson de l’acte militant, subversif et illégal mais néanmoins essentiel à leurs yeux.
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