Tourné bien avant le début de la guerre mais après l’invasion de la Crimée, ce premier film d’un réalisateur ukrainien est plein d’une violence antique passée par les traditions. Les personnages forts, les relations familiales difficiles tout comme les paysages sont filmés avec brio dans des images magnifiques. La violence des hommes et la folie du carnaval en font un film flamboyant, peut être même trop stéroïdé.
Par Bernard Cassat
Une région de contrebande près de la Roumanie. Photo Condor Distribution
Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk est originaire d’une région perdue dans le sud-est de l’Ukraine, non loin de la frontière roumaine, en fait multi-ethnique. Et c’est là qu’il a situé son premier long métrage, dans un village reculé où les routes ne sont pas goudronnées. Loin des centres de décisions mais proche de pays faisant partie de l’Europe, c’est évidemment une zone propice aux trafics en tout genres. La contrebande semble y être quasi une institution. Et les bandes organisées qui vont avec, proches de maffias locales.
Des caractères rudes dans un pays sauvage
Pamfir, ancien contrebandier, avait passé un accord avec sa femme, une promesse de se sortir de la contrebande. Pour gagner de l’argent honnêtement, il est parti seul travailler en Pologne. Il revient en visite alors que son fils Nazar a une quinzaine d’années. Et il va se trouver embarqué dans un engrenage qui le force à trahir sa promesse et à recommencer la contrebande par besoin d’argent pour sauver son honneur, mais aussi parce qu’il se retrouve pris dans les relations complexes de bandes rivales. Les caractères sont rudes dans le pays, Pamfir le premier. C’est un homme assez brut, sans éducation. Mais sa connaissance de la vie, son intelligence et quelques principes et règles de vie lui dictent une attitude intéressante. Dans le monde peu développé de son village (l’histoire pourrait se passer au XIXe siècle), toujours en proie aux croyances tant religieuses catholiques pour beaucoup de femmes, que chamaniques et populaires lorsque se déroule le carnaval, Pamfir veut à tout prix que son fils devienne meilleur que lui, plus instruit surtout, pour qu’il n’ait pas la même vie. On apprend petit à petit qu’il s’est battu il y a longtemps avec son père en lui crevant un œil, et que la famille n’est pas réconciliée. Pour une histoire de religion, justement. Et qu’il a toujours refusé de se soumettre à la volonté des petits caïds régionaux.
Les costumes de carnaval. Photo Condor Distribution
Temps fort de cette société rurale et retardée, la Malanka, fête traditionnelle du carnaval, se déroule dans le froid de janvier. Les participants ont un costume en rafia et un masque, souvent représentant un animal. C’est pendant son déroulement que se termine le film, qui montre aussi les préparations de cette fête. D’où des scènes magnifiques de danses étranges, des masques de bouc ou de loup dans la nuit, éclairés par de grands feux de bois qui jettent des éclairages incroyables. La forêt, la nature, les bêtes sont d’ailleurs des thèmes récurrents du film. Pamfir, sa femme et Nazar se promènent à un moment dans la forêt. Et tous trois se mettent à hurler des cris d’animaux pour faire fuir les bêtes sauvages. Et a contrario, la sauvagerie des humains ressort assez vite, surtout lors de règlements de comptes par des tabassages assez trash. Cette violence, pourtant sociale (les cogneurs obéissent à leur chef), semble implacable. Pamfir en fait partie à son corps défendant, mais subit bel et bien cette emprise malsaine des clans dirigés par des hommes cruels.
Hurler pour faire fuir les bêtes sauvages. Photo Condor Distribution
Pour un premier film, Le Serment de Pamfir est franchement flamboyant. Belles images de village rural, éclairages très soignés dans les intérieurs, travail minutieux sur les ombres la nuit et sur les corps éclairés par des bougies. Avec un sommet pendant le carnaval, les costumes et les masques permettant une sorte de folie paroxystique. L’alcool, la violence, les dialogues brefs et définitifs, la rudesse profonde des voix des hommes, les hurlements de douleur des femmes, les stéroïdes que les contrebandiers avalent pour courir plus vite avec leurs charges, tout cela renvoie à une masculinité brute, à la rudesse de ces montagnes et aux croyances profondes de ces régions. Avec quelques moments de grâce, comme ce cœur d’ados, pendant la messe, qui renvoie plutôt à la tragédie grecque dont l’histoire n’est, au fond, pas si éloignée.