Conférence passionnante ce mardI 11 octobre 2022 au Cercil Musée Mémorial des enfants du Vel d’hiv sur l’attitude du pape Pie XII envers les juifs durant la seconde guerre mondiale. L’historien Jean-Dominique Durand, président de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France s’est efforcé de démêler le vrai du faux.
Par Sophie Deschamps
L’historien Jean-Dominique Durand, spécialiste des religions était au Cercil ce 11 octobre 2022 pour parler de l’attitude de Pie XII envers les Juifs. Photo Sophie Deschamps
Pie XII pape de 1939 à 1958 est aujourd’hui encore le Saint-Père qui déchaine le plus les passions à cause de son rôle ambigu vis-à-vis des Juifs et de leur persécution, y compris à Rome, pendant la seconde guerre mondiale. L’ouverture( tardive) en 2020 des archives de son pontificat permettent aujourd’hui d’apporter un éclairage nuancé sur cette période hautement sensible de notre histoire contemporaine.
D’où l’intérêt de cette conférence rigoureuse et équilibrée de l’historien Jean-Dominique Durand intitulée Le Pape Pie XII. Une pomme de discorde entre juifs et catholiques ? « Mais encore faut-il savoir à quelle question on souhaite répondre quand on vient consulter les archives » ajoute malicieusement ce spécialiste des religions.
Critiqué par les Catholiques mais approuvé par les Juifs
Ce dernier s’est d’ailleurs attaché dès le début de son intervention à mettre en lumière les paradoxes qui entourent la perception de ce pape si particulier. Notamment celui qui révèle que les critiques sont plutôt venues très vite des catholiques alors que les juifs lui étaient plutôt reconnaissants. En effet, des intellectuels catholiques tels que Paul Claudel, François Mauriac, Jacques Maritain, Emmanuel Mounier « ont commencé à reprocher pendant la guerre à Pie XII ce que l’on a appelé ensuite, les silences.» Des critiques d’autant plus étonnantes que la religion catholique portait en elle jusqu’au Concile de Vatican 2 un anti-judaïsme rappelé dans la prière du Vendredi saint par la désignation des Juifs en tant que peuple déicide. Comme le pointe Jean-Dominique Durand « de l’antijudaïsme à l’antisémitisme, il n’y avait chez beaucoup de catholiques de cette époque que l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette. »
Au contraire poursuit l’historien « du côté juif, immédiatement après la guerre, Pie XII jouit de grand prestige : des organisations juives sont reçues au Vatican. Jules Isaac lui-même, fondateur de l’Amitié Judéo-chrétienne de France, l’AJCF obtient une audience auprès du pape en 1949. (…) Donc Pie XII n’était pas à ses yeux un objet de discorde.»
Toutefois, explique alors l’historien « l’opinion publique juive se retourne complètement en 1963 avec la représentation de la pièce de théâtre Le Vicaire, écrite cinq ans après la mort de Pie XII ». Cette œuvre de l’allemand Rolf Hochhuth, très critique vis-à-vis de l’attitude de ce pape à l’égard des juifs sera adaptée au cinéma en 2002 par Costa-Gavras avec son film Amen.
Et sa demande de béatification en 2007 puis en 2010 relance les débats. Alors quels sont ces fameux silences qui collent sans cesse à la biographie de Pie XII alors que l’on sait de source sûre qu’il était au courant de ce qui se passait en Allemagne et ailleurs notamment grâce aux diplomates, les nonce apostoliques et aux évêques présents dans toute l’Europe ?
Trois déclarations courtes et floues sur le sort des Juifs
Là encore, paradoxalement ils proviennent de trois déclarations de Pie XII durant la guerre. Ainsi à Noël 1940 « il signale l’aide apportée par le Saint-Siège à un grand nombre de réfugiés, d’expatriés et de migrants, parmi lesquels ceux de race sémitique. Donc les juifs sont désignés.»
Deuxième déclaration à Noël 1942. Cette fois explique Jean-Dominique Durand « il évoque les centaines de milliers de personnes, qui sans aucune faute personnelle sont pour des raisons de nationalité ou de race destinées à la mort ou à une progressive disparition.»
Un troisième message est enfin délivré par Pie XII le 2 juin 1943 : « Il y parle des persécutés en raison de leur nationalité, de leur race sans avoir commis aucun faute et dans lequel il prononce le mot d’extermination»
Jean-Dominique Durand donne alors une analyse critique de ces trois messages : « On ne peut pas parler de silence au sens strict du terme puisqu’il s’est exprimé trois fois. Néanmoins, on peut accepter le terme de silence, dès lors que devant l’ampleur du drame qui se joue, on n’a que trois brèves allusions au sein de déclarations de plus grande ampleur et dans un langage peu accessible. Le mot juif, le mot nazi se sont pas prononcés. Les victimes et leurs bourreaux ne sont pas désignés.
Alors si ces messages sont très bien compris par les nazis qui sont très en colère, ils ne sont pas de nature à éclairer les consciences chrétiennes ni à soutenir les juifs dans leur malheur. Du reste, certains diplomates accrédités auprès du Saint-Siège ont émis des réserves quand au style alambiqué du pape. »
Silence assourdissant après guerre
On a aussi beaucoup reproché à Pie XII ne n’avoir rien dit au sujet de la Shoah après la guerre alors que son pontificat s’est poursuivi jusqu’en 1958. Jean-Dominique Durand rappelle alors que la préoccupation du Saint-Siège était surtout à cette époque de lutter contre la montée en force du communisme.
Pape Pie XII. Photo Michael Pitcairn, vers 1951
Enfin, il convient pour Jean-Dominique Durand de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Ainsi la photo qui accompagne souvent les articles concernant Pie XII le montre signant un concordat avec le régime nazi en juillet 1933 à Berlin alors qu’il est le Secrétaire d’État du pape Pie XI : « Je ne veux pas défendre ce concordat qui s’inscrit dans la diplomatie vaticane, c’est-à-dire la foi dans les documents écrits et signés. Dans ce cas précis il s’agissait de préserver les intérêts des catholiques en Allemagne, mais rien de plus ».
Bref, on l’aura compris les débats restent encore très vifs à propos de Pie XII. Un pape qui reste un sujet d’actualité comme en témoigne le long article que lui consacre la Revue Histoire dans son numéro de septembre 2022 signé de la jeune historienne Nina Valbousquet.