Jean Libon et Yves Hinant, réalisateurs de l’émission StripTease, ont filmé une enquête dénouant les fils compliqués d’un crime sordide à Bruxelles. Ils suivent un commissaire et son équipe avec leur regard parfois amusé, parfois attendri, captent aussi le sordide des situations, l’ironie du monde. Et s’arrangent pour que le montage donne une véritable réflexion sur ce qu’ils montrent.
Par Bernard Cassat
Le commissaire et la juge d’instruction. Photo LE BUREAU – CHEZ GEORGES – ARTÉMIS PRODUCTIONS – RTBF – 2021
Après Ni Juge ni soumise, le premier long-métrage StripTease de Jean Libon et Yves Hinant, sorti en 2018, les réalisateurs de la célèbre émission de documentaires à la télévision belge proposent aujourd’hui Poulet Frites. On y retrouve la très cathodique et « très catholique » (elle le dit elle-même) juge d’instruction Anne Gruwez, et l’enquête à l’origine du film d’aujourd’hui a du être filmée en même temps que le premier documentaire.
Car malgré les apparences, il s’agit bien d’un documentaire. Les images sont tournées dans un noir et blanc digne du commissaire Maigret. Le travail de montage les scénarise, donc leur donne un apparence de fluidité dans la narration et de logique de séquences, mais rien ne pouvait avoir été écrit au préalable. C’est donc le même principe que les courts métrages qui passaient pendant leur émission, qui efface toute présence à l’image de l’équipe de réalisation, toute question aux protagonistes et tout rajout de sons, musiques ou explications. L’action ou les discussions se déroulent devant la caméra. Toute l’habileté des documentaristes, qui fait l’intérêt de ce genre de travail, consiste alors à avoir l’œil, au moment du tournage, au moment des faits, pour ne rien rater, avec en plus la présence d’esprit de saisir les choses non dites, les expressions furtives d’un visage, les gestes significatifs.
Un crime sordide dans le milieu de la drogue de Bruxelles
Poulet Frites commence dans les premiers instants de l’enquête, la découverte d’un cadavre de femme égorgée dans un tout petit appartement un peu sordide de Bruxelles. Le commissaire et son équipe, rejoints par la juge d’instruction, tentent d’en saisir tous les éléments significatifs. Une frite dans le bol alimentaire de la victime, révélée par l’autopsie, conduit dans un premier temps à soupçonner l’ami de la victime. Drogués tous les deux, ils naviguaient dans un milieu assez louche et très cosmopolite.
Le commissaire, devenu ensuite chef de la criminelle de Bruxelles. Photo LE BUREAU – CHEZ GEORGES – ARTÉMIS PRODUCTIONS – RTBF – 2021
Le film s’attache à la personne du commissaire, un homme calme et méthodique. On est pourtant loin d’un personnage de policier de série télé. Très humain, ce commissaire va être convaincu de l’innocence de l’ami mis en examen. Celui-ci pourtant ne l’aide pas ! Dans une totale confusion, il ne se souvient de rien de cette soirée du crime. Son seul commentaire : « si je l’aurais tuée, j’m’en souviendrais, quand même ! ». L’équipe de policiers, en suivant des indices ténus qui demandent des recherches énergivores, va suivre la piste d’un téléphone et de son possesseur.
De l’humour, de l’absurde, de la poésie
L’équipe de tournage n’a eu aucune restriction pour filmer. Le montage met en avant d’incroyables pertes d’énergie dans le fonctionnement de la police, par exemple la difficulté d’avoir deux hommes en uniforme pour une perquisition. Et puis le cadre vieillot des bureaux confinés des policiers donne une image assez désespérée, bien que l’équipe fasse du bon boulot. C’est aussi dans les intentions des réalisateurs. « Grâce à des séquences mêlant l’humour noir, l’absurde, l’amertume des situations, parfois un peu de vulgarité, de la poésie, du désespoir », disent-ils, ils amènent un coté réflexif et affectif qui donne du sens à des situations parfois totalement absurdes. Ce ton original inscrit leur travail dans la grande filière du documentaire belge. Ce crime minable dans le milieu interlope de Bruxelles leur permet aussi de découvrir, dénuder comme le titre de l’émission l’indique, des personnalités de flics tout à fait étonnantes. La maitrise du cinéma, image comme montage, fait de ce travail un magnifique témoignage sur un pays et une époque. Et livre un regard original, point fort de tout documentaire, genre cinématographique où la Belgique a toujours brillé.