Pour son premier long métrage, Céline Devaux n’a pas hésité à endosser plusieurs casquettes. Elle contrôle avec une grande maîtrise son film du début à la fin. Les caractères qu’elle a inventés et les acteurs qui les portent à l’écran composent une œuvre aboutie et prenante, comédie avec des échappées plus inquiétantes qui en font tout l’intérêt.
Par Bernard Cassat
Dès le début, le film de Céline Devaux étonne. Ca faisait longtemps qu’on n’avait pas vu un générique graphique au visuel original. Et ce graphisme va en fait être présent tout au long du film. Totalement intégrée au déroulement de l’action, l’utilisation de dessins animés permet à Céline Devaux d’installer un système de transparence, pour le spectateur, du personnage de Jeanne. Donc d’installer aussi un point de vue assez original qui mélange l’intérieur du personnage, ses réactions fugaces, ses humeurs, ce qu’elle pense, et son attitude extérieure, ce qu’elle répond aux autres par exemple, qui est souvent l’inverse. Ces petits dessins simples et amusants apportent beaucoup au caractère complexe de Jeanne, tiraillée entre un enthousiasme superficiel et une déprime profonde. Les dessins permettent aussi à une voix off de raconter plus en détail le passé de Jeanne, son rapport compliqué avec sa mère décédée, un personnage haut en couleurs.
Le deuxième personnage, celui de Jean, est lui aussi plutôt complexe. On ne sait jamais s’il joue les flambeurs un peu jean-foutre ou s’il ne se rend pas compte. L’échange qu’il a avec Jeanne à la plage, sur la déprime et la folie, éclaire beaucoup sur les intentions du scénario. Et renforce l’idée que derrière ce personnage à l’aisance outrancière se cache un malaise. Jeanne pour sa part est constamment confrontée à son propre jugement sur elle-même, comme le rappellent tous les petits dessins. Et dans cette confrontation intérieure, il y a la place pour qu’une certaine folie se développe.
Mais Céline Devaux reste tout de même du côté de la comédie. Son aisance, autant à la caméra qu’au crayon, puisque c’est elle qui a dessiné les animations, sa légèreté et le ton enlevé qu’elle a trouvé font de ce film un très agréable moment. Blanche Gardin et Laurent Lafitte, aussi bons l’un que l’autre, elle en tourmentée plutôt sombre, lui en déjanté énergique et brillant, passent avec bonheur la rampe. Les petits rôles sont excellents et Lisbonne un bel écrin pour cette histoire.
Céline Devaux a déjà plusieurs courts métrages à son palmarès, mais ce film est son premier long. On y découvre cependant une très belle maîtrise de son art, avec des moments privilégiés. Lors d’une visite à l’aquarium océanique, Jeanne regarde les requins au milieu des autres qui photographient avec leur portable. Image très construite, montage alternant poissons et spectateurs dans cette lumière blafarde des portables. Ca n’a aucun rôle dans l’histoire, mais cette séquence, comme plusieurs autres dans le film, sont des beaux moments visuels. Toutes ces trouvailles, les séquences animées et les caractères attachants des personnages compensent largement le manque de souffle du scénario, un peu court pour un long métrage.
Tout le monde aime Jeanne
Scénario, réalisation, animation : Céline Devaux
Interprètes : Blanche Gardin, Laurent Lafitte, Maxence Tual, Nuno Lopez, Marthe Keller
Musique : Flavien Berger