La lutte contre l’illettrisme

Depuis 1967, l’UNESCO célèbre le 8 septembre la Journée internationale de l’alphabétisation. L’analphabète n’a jamais appris à lire et à écrire. Scolarité inévitable oblige, la France organise du 8 au 15 septembre les Journées nationales d’action contre l’illettrisme. Magcentre a interrogé Jean-Christophe Ralema, chargé de mission de l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme en région Centre-Val de Loire.

Propos recueillis par Jean-Paul Briand

Cliché JP Briand

Magcentre : Si l’on considère qu’un « illettré » est une personne qui a quitté l’école sans avoir atteint un niveau suffisant lui permettant de lire et écrire avec autonomie, combien sont-ils en France et plus particulièrement en région Centre-Val de Loire ? Quel sont leurs différents profils ?

Jean-Christophe Ralema

Jean-Christophe Ralema : 2 500 000 personnes, 7% de la population âgée de 18 à 65 ans, sont en situation d’illettrisme dans notre pays. Dans la dernière enquête menée par l’INSEE, en partenariat avec l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme * (ANLCI), nous constatons que les femmes sont moins concernées par l’illettrisme que les hommes (60,5 % d’hommes). Plus on avance en âge et plus l’illettrisme augmente. Plus de la moitié des personnes en situation d’illettrisme est âgée de plus de 45 ans. En effet les compétences acquises dans notre jeunesse peuvent s’éroder avec l’âge si elles ne sont pas suffisamment mobilisées. Notons également que les zones rurales ne sont pas épargnées par l’illettrisme : la moitié des personnes en situation d’illettrisme vit dans des zones faiblement peuplées. Enfin, il est important de rappeler que plus de la moitié de ces personnes ont un emploi. Ne pas maîtriser la lecture, l’écriture, le calcul ne signifie pas ne pas avoir de compétences, même si cela limite l’autonomie dans la vie sociale et professionnelle. Nous n’avons pas encore de données actualisées précises sur la région Centre-Val de Loire. Une enquête est en cours qui nous permettra, d’ici la fin de l’année 2022, de connaître notre situation en région dans ce domaine.

Magcentre : Quels sont les obstacles rencontrés pour dépister l’illettrisme et pour mobiliser les personnes qui en sont atteintes  ?

 Jean-Christophe Ralema : Les personnes en situation d’illettrisme ont été scolarisées et de ce fait ressentent souvent de la honte à révéler leurs difficultés face à l’écrit. Elles ont de plus souvent conservé de mauvais souvenirs de leur scolarité, synonyme de mal-être et d’angoisse. Elles ne vont donc pas spontanément se présenter dans un lieu de formation pour réapprendre, même si cela est possible à tout âge. Il faut donc les mobiliser et les accompagner pour qu’elles acceptent d’entrer en formation. Cela nécessite d’identifier leurs difficultés, souvent dissimulées par d’habiles stratagèmes. Il faut donc former ce que l’on nomme des médiateurs, qui engageront un dialogue avec les personnes en situation d’illettrisme pour leur proposer de trouver une solution qui permettra de vaincre leurs difficultés. Ces médiateurs peuvent être des agents des services sociaux, des conseillers de Pôle Emploi ou de missions locales formés à cet effet.

Magcentre : En région Centre-Val de Loire quelles sont les actions envisagées ou déjà en cours ? les collectivités (municipalités, départements, région) y participent-elle ?

Jean-Christophe Ralema : Les services de l’Etat en région, le Conseil régional et les Conseils départementaux participent, selon leurs compétences respectives, à la lutte contre l’illettrisme. Un plan régional avec des objectifs liés aux besoins de la région est en cours d’élaboration. Les Conseils départementaux forment leurs agents, tout comme Pôle Emploi et les missions locales, à l’identification des situations d’illettrisme et à l’accompagnement des personnes concernées. Les bibliothèques départementales mettent à disposition des ouvrages de lecture adaptés pour le réapprentissage de la lecture et des outils pédagogiques pour les formateurs. Le Conseil régional finance des formations pour aider les demandeurs d’emploi à sortir de l’illettrisme. Nous avons également un Centre de ressources illettrisme (CRIA) par département pour former les intervenants, orienter les personnes vers les organismes de formation. Enfin, ont lieu du 8 au 15 septembre, les Journées nationales d’actions contre l’illettrisme organisées par l’ANLCI. Plus de 1000 événements auront lieu sur le territoire national, dont plus de 70 en région Centre-Val de Loire. L’objectif de ces journées est de lever le voile sur l’illettrisme, de faire connaître cette difficulté pour qu’elle soit mieux prise en compte et de mettre en lumière les solutions qui existent, au plus près des personnes et des territoires.

Magcentre : L’illettrisme est essentiellement envisagé par rapport aux lacunes sur l’écrit. Qu’en est-il pour les carences concernant les chiffres et le numérique ? 

Jean-Christophe Ralema : De nos jours la lutte l’illettrisme ne se limite pas à la prise en charge des lacunes que les personnes concernées rencontrent à l’écrit. Le calcul, pour résoudre des problèmes de base du quotidien, fait également partie de nos axes de travail. Et bien sûr, l’usage du numérique, présent dans notre vie de tous les jours et qui nécessite la maîtrise de l’écrit, entre depuis quelques années dans les compétences nécessaires pour être autonome dans notre société. Il est devenu difficile de ne pas rencontrer un écran avec de l’écrit dans son quotidien, que ce soit pour acheter un billet de train ou de tramway, renouveler une carte grise ou réaliser la majeure partie des démarches administratives, sans oublier le suivi de la scolarité des enfants comme l’a cruellement révélé la récente pandémie de Covid. Nous menons donc également des actions dans ce domaine à destination des personnes en situation d’illettrisme.

Un peu de terminologie :

Analphabète

Dès 1958, l’Unesco définissait l’analphabète comme une personne « incapable de lire et écrire en comprenant un exposé simple et bref de faits, en rapport avec sa vie quotidienne ». L’Unesco précisait : « une personne capable seulement de lire et d’écrire des chiffres et son nom doit être considérée comme analphabète, de même une personne qui sait lire mais non écrire ainsi qu’une personne qui ne peut lire et écrire qu’une expression rituelle apprise par coeur ». 

En 1978, une nouvelle définition apparue : « Est fonctionnellement analphabète une personne incapable d’exercer toutes les activités pour lesquelles l’alphabétisation est nécessaire dans l’intérêt du bon fonctionnement de son groupe et de sa communauté et aussi pour lui permettre de continuer à lire, écrire et calculer en vue de son propre développement et de celui de la communauté ».

Illettrisme

En 2003, l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCL) explique que « l’illettrisme qualifie la situation de personnes de plus de 16 ans qui, bien qu’ayant été scolarisées, ne parviennent pas à lire et comprendre un texte portant sur des situations de leur vie quotidienne, et/ou ne parviennent pas à écrire pour transmettre des informations simples. Pour certaines personnes, ces difficultés en lecture et écriture peuvent se combiner, à des degrés divers, avec une insuffisante maîtrise d’autres compétences de base comme la communication orale, le raisonnement logique, la compréhension et l’utilisation des nombres et des opérations, la prise de repères dans l’espace et dans le temps, etc. ».

Littératie 

Les anglo-saxons emploient le terme « literacy » qui a été traduit en français par « littératie ou littéracie ». Dans son rapport de l’Enquête internationale sur la littératie des adultes, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), définie la littératie comme étant « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités ». En raison de l’aspect multidimensionnel et positif de cette notion de littératie, qui se distingue du savoir lire-écrire de base, les chercheurs francophones utilisent de plus en plus ce néologisme dans leurs travaux sur l’illettrisme.

Commentaires

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  1. Félicitations tardives pour cet article sur l’illettrisme/litteratie (!) auquel j’ai consacré les dernières années de ma vie professionnelle.
    Quelques reflexions personnelles:
    -la recherche du nombre d’illettrés est vaine:les “dépistages” mangeurs de temps,d’argent,d’énergie donnent toujours les mêmes chiffres,depuis plus de 30 ans:approximativement entre 10 et 20 pour cent de la population ; les “victimes” ne se laissent pas identifier…
    -l’impossibilité d’apprendre ou de retenir,palpable très tôt est rarement prise en compte.
    -les possibilités de dépistage et de rattrapage sont cloisonnées,individuelles et non coordonnées: parents,recherche médicale d’un handicap,enseignants souvent dépassés,aptitudes à poursuivre des études ou occuper un emploi.
    -Le chiffre de 10 à 20 pour cent n’est pas mobilisateur…

    Alors??? Pour ma part, je retiens une “clef” d’un ancien interlocuteur avisé qui n’a pas fait “carrière” : n’avons-nous pas intérêt à entretenir le brouillard de l’incompréhension? démarches administratives complexes,vocabulaire inapproprié,présentation typographique de notices,mode d’emploi accessible seulement sur l’ordinateur…
    La campagne en cours peut continuer lcette liste!

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