Jonas Poher Rasmussen, réalisateur danois, fait raconter dans son film d’animation Flee le parcours terrible d’Amin et de sa famille de Kaboul vers la Suède. La fidélité du récit le classe parmi les documentaires. L’utilisation de plusieurs techniques de dessins permet de raconter l’indicible. Puisque déjà dans les années 1990 , les migrants affluaient en Europe dans des conditions terribles.
Par Bernard Cassat
Amin raconte son parcours. Capture Final Cut for Real
Le dispositif est assez proche d’une psychanalyse : le « patient », couché sur un divan recouvert d’une couverture orientale, ajuste sa position pour être cadré au centre. Une voix off lui parle en prenant des précautions oratoires, le met en confiance. On sent une tension. Mais Amin, puisque le patient se nomme ainsi, commence à raconter son enfance à Kaboul. Et le dessin se brouille pour nous entrainer en Afghanistan dans les années 80.
Plusieurs années pour atteindre le but
De psychanalyse, il n’y aura pas, mais une narration émotionnellement au plus près de cette odyssée d’un migrant. Son enfance assez dorée à Kaboul prend fin très vite, puisqu’il est encore enfant quand les Talibans prennent le pays. Son père est emprisonné, son frère doit fuir pour ne pas aller à l’armée. Et toute la famille s’envole, à la veille de la chute de Kaboul, vers Moscou. Ils vont y vivre une attente éprouvante, dans l’illégalité, à la merci de la police terriblement corrompue, sauvage. Un frère ainé qui avait fui en Suède les aide. Les deux sœurs ainées partent toutes seules, et le récit de leur effroyable traversée dans un container fait froid dans le dos. Pour les deux frères et la mère, la sortie de Russie aux mains de passeurs véreux est un récit épouvantable de souffrances physiques et mentales. Qui finit à Moscou, puisqu’ils sont pris par la police balte et renvoyés d’où ils viennent. Amin grandit vite. On se rend compte de la perte de ces enfants puis adolescents, non scolarisés, qui regardent la télé à longueur de journée et qui désespèrent de tout espoir, de tout futur. Amin rejoindra seul, pour une histoire d’argent qui manque, le Danemark. Où par hasard, dans le train qui l’emmène voir son frère en Suède, il rencontre un autre adolescent qui deviendra son ami, celui qui fera le film.
L’enfance heureuse à Kaboul. Capture Final Cut for Real
La narration est limpide, entrecoupée de retours sur le divan puisqu’Amin a aussi plein de questions au présent de ses 36 ans. Devenu brillant universitaire donnant des conférences à New York, il est toujours en questionnement sur beaucoup de choses. Il doit tellement à sa famille, à ses frères et sœurs qui lui ont permis de fuir, qu’il se met un poids sur les épaules, celui d’être à la hauteur. Et puis la notion de maison, par exemple, de chez soi, de stabilité, lui est tellement étrangère qu’il lui faut l’apprivoiser quand elle se présente. Sans parler de la difficulté pour lui de vivre et d’annoncer à sa famille son homosexualité. Qui finalement l’acceptera bien.
Une famille finalement disloquée. Capture Final Cut for Real
Le choix de l’animation, qui s’imposait pour garder l’anonymat d’Amin, est magnifiquement exploité. Les dessins « classiques » laissent parfois la place à des séquences au fusain, des dessins sans couleurs, aux enchainements nerveux, qui se perdent parfois dans un détails. Les affolements, les terreurs, les moments insupportables sont ainsi dits par des images moins réalistes qui permettent de rendre compte de l’horreur. D’autre part, quelques séquences video de télévision, de journaux ou autres rappellent les événements qui entourent cette fuite (Flee). Et apportent un rythme, ouvrent l’histoire et replacent cette animation par essence visuellement imaginaire au sein de la réalité.
Grande réussite du réalisateur danois, Flee a reçu un grand nombre de prix en Europe comme aux Etats Unis.