[Rétro] “La Fille qu’on appelle”, #MeToo sous la plume de Tanguy Viel

 

 Après “Article 353 du code pénal“, confrontations aux tonalités simenoniennes, Tanguy Viel compose un roman intense, exploration intime d’un fait divers. Avec son regard minutieux et son écriture au déploiement délicat, il révèle la lourdeur des gestes et la profondeur des douleurs.

Par Julien Leclerc

Tanguy Viel photo GP

Dans une ville au bord de l’Atlantique, Laura, la fille qu’on appelle, retrouve son père, Max Lecorre, ancien boxeur devenu chauffeur du maire. Elle se retrouve alors au cœur d’enjeux de pouvoir et de désir, convoitée par les notables de la ville. Cette attraction devient un jeu dangereux où les coups trop retenus de l’ancien athlète se déchaîneront rapidement pour protéger sa fille retrouvée.

Et peut-être à cause du regard soudain sourcilleux des policiers qui lui faisaient face, elle a cru bon d’ajouter : “Je vous rappelle que j’ai grandi près des rings.” Et sûrement ils eurent le sentiment que dans cette phrase se logeait une partie de son histoire, avec toute la rugosité de l’enfance, en même temps qu’elle laissait déjà entendre quel fossé la séparait de l’autre, le type à l’immense bureau, que rien, ni l’accueil froid de la secrétaire ni la taille démesurée de la pièce, ne venait rapprocher de son monde à elle.
Non, rien du tout, a-t-elle dit encore aux policiers, dans un monde normal on n’aurait jamais dû se rencontrer.
Un monde normal… mais qu’est-ce que vous appelez un monde normal ? ils ont demandé. Je ne sais pas… Un monde où chacun reste à sa place.

La parole dévoilée

Le roman s’ouvre sur la parole dévoilée. Laura raconte aux policiers ce qui s’est passé.Elle reconstitue, donne tous les éléments, les détails permettant de capter l’intensité vécue ces derniers mois. Elle révèle les interstices où se sont nichés les actes d’une violence insidieuse et banalisée. S’ouvre alors un long flash back au cours duquel l’histoire se déploie dans cette petite ville maritime. Construit en deux parties, le roman installe d’abord la tension des rapports entre les quatre personnages principaux avant d’envisager l’éclatement de la situation. Petit à petit, l’histoire se resserre, les personnages plongent dans un gouffre. Laura devient la maîtresse, son père le témoin aveugle, les notables des prédateurs. En dilatant le temps, Tanguy Viel réussit à cerner le poids de la violence qui ne dit pas son nom, les injonctions faites avec le sourire. Avec son écriture, il fait d’un geste anodin, le début d’un cercle vicieux, les prémices d’une relation à l’issue fatale.

Dans la continuité de ses précédents romans, Tanguy Viel observe avec minutie les lieux, les attitudes et les gestes. On lit chaque scène comme on admirerait un plan au ralenti. Et on est embarqué par l’art subtil de cet auteur de passer d’un plan général à un angle plus serré pour saisir le poids sensible des intentions. Une petite chose peut alors contenir toute la puissance d’une intention. Les regards obséquieux et condescendants éclatent dans toute leur répugnance. Tanguy Viel observe sans relâche la manière dont la société et ses ressorts tordent les corps et les esprits des êtres. Ce qui compte et nourrit l’intensité de cette histoire est le sous-texte, ce que chacun·e doit comprendre et faire en toute conscience des rapports de force indépassables. Les attentes sont claires. Laura doit rester la fille qu’on appelle, francisation explicite de “call-girl”. Son père, athlète admiré et déchu, doit lui aussi rester à sa place. Ils sont soumis aux seigneurs de la ville, détenteurs du pouvoir économique et politique.

Sans être un documentaire ou un reflet à peine déformant des questions qui jalonnent le débat public ces dernières années, Tanguy Viel s’empare des outils de la fiction pour questionner les rapports humains. Dans une narration où les phrases relient magistralement les faits passés et le présent, Tanguy Viel regarde avec justesse les nuances de la violence, les douleurs vécues et leur imprégnation sensible, à contre- courant des chaînes d’informations dont la rythme épuise les heures et la vérité.

 

La Fille qu’on appelle,

Editions de MInuit, 176 pages, 16€

Quand il n’est pas sur un ring à boxer, Max Le Corre est chauffeur pour le maire de la ville. Il est surtout le père de Laura qui, du haut de ses vingt ans, a décidé de revenir vivre avec lui. Alors Max se dit que ce serait une bonne idée si le maire pouvait l’aider à trouver un logement.

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