Par Régis Guyotat
C’est surtout en multipliant les enquêtes, c’est-à-dire en introduisant le journalisme d’investigation, que La République du Centre va gagner en crédibilité et en intérêt.
Dans la seconde partie des années 1980, bien avant la création du CERCIL (dont il sera un des membres fondateurs), Christian s’intéresse surtout à l’histoire des camps du Loiret dont la mémoire se limite à l’époque à une simple commémoration annuelle à Pithiviers et à Beaune-la-Rolande.
Le Cercil-Musée Mémorial des enfants du Vel d’Hiv est un centre de recherche et d’histoire qui se consacre à l’histoire des camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, l’internement et la déportation de 16 000 Juifs, et le camp de Jargeau où ont été internés 1 200 Tsiganes. Musée de la Région Centre.
Les historiens ont commencé à soulever le couvercle, mais timidement. Serge Klarsfeld, lui, de chasseur de nazis, s’est transformé en historien de la Shoah. Il s’interroge notamment sur le rôle tenu par le sous-préfet de Pithiviers en 1942, Michel Junot, devenu adjoint de Jacques Chirac à la mairie de Paris et a sollicité Christian et moi-même pour enquêter. Serge Klarsfeld a conseillé au journaliste Eric Conan d’enquêter sur la tragédie des enfants, à peine mentionnée par les historiens à l’époque. Eric Conan s’est enfermé plusieurs mois discrètement dans les Archives du Loiret. L’enquête qu’il publie dans L’Express en avril 1990 provoque une énorme émotion en France. Trois mois plus tard, en juillet 1990, La République du Centre, dirigée à l’époque de façon bienveillante par Marc Carré, ancien résistant, publie l’enquête que Christian et moi-même avons signée sur la sous-préfecture de Pithiviers en 1942. Ce qui vaut à La République du Centre une assignation en justice pour diffamation par la 17° chambre correctionnelle de Paris, et une condamnation.
Photographie des baraques du camp de Beaune-la-Rolande, 1942 (Arch. dép. du Loiret, 138 W 25859)
En effet évoquer au tout début de la décennie 1990 les camps de concentration de Vichy est un exercice journalistique périlleux. Mettre en cause ces antichambres de la mort, c’est-à-dire jeter le soupçon sur la haute administration française de l’époque dans le génocide, peut vous envoyer au tribunal pour diffamation. Depuis que Le Canard Enchaîné a révélé l’affaire Papon en 1981, des cohortes de journalistes ont été traduits et condamnés par la désormais célèbre 17° chambre correctionnelle. Il faudra attendre le discours de Jacques Chirac en 1995 pour que la responsabilité de la France de Vichy dans le génocide soit reconnue.
En juillet 1989, un an avant « l’affaire Junot », Christian a publié dans La République du Centre une remarquable enquête sur le camp de Jargeau. Les Orléanais découvrent l’existence d’un troisième camp de concentration dans le Loiret, où végétèrent, mais échappèrent à la déportation, des centaines de familles tziganes, comme chacun sait. L’enquête fait l’objet d’une « série », ce qui constitue une innovation dans le journal. Réactions et témoignages s’enchaînent durant plusieurs semaines.
Les enquêtes de Christian sur les trois camps du Loiret furent ensuite innombrables et facilitèrent la reconnaissance et le travail du CERCIL, animé avec une grande énergie par Hélène Mouchard-Zay. La surprise fut grande également lorsqu’en 1992 les Orléanais découvrirent dans La République du Centre, sous la plume de Christian, et Le Monde que le patron du FN du Loiret, Paul Malaguti, conseiller régional du Centre, alors jeune milicien, avait été condamné à mort par contumace à la Libération.
Christian revendiquait un journalisme de « terrain », pestait, bien que parisien, contre les journalistes « parisiens », qu’il surveillait du coin de l’œil, lorsqu’ « ils » venaient chasser sur ses terres. C’était un journaliste « généraliste », parce qu’il voulait tout savoir. Il ne supportait pas qu’une actualité lui échappe. Parce qu’il voulait tout comprendre.