Le maillot de bain à la loupe

Un bouquin à glisser dans son sac de plage : Les dessous du maillot de bain, Une autre histoire du corps d’Audrey Millet (Éditions Les Pérégrines). Car ce livre raconte l’histoire passionnante des rapports de l’humain avec l’eau depuis l’Antiquité et le très lent découvrement du corps des femmes, encore inachevé aujourd’hui, notamment avec le burkini.

Par Sophie Deschamps 

Couverture Les dessous du maillot de bain, Audrey Millet. Photo Sophie Deschamps

Ne vous fiez pas au titre de ce livre : Les dessous du maillot du bain, une autre histoire du corps. En effet, il ne s’agit pas pour l’autrice Audrey Millet, chercheuse au CNRS et spécialiste de l’histoire de l’habillement, de nous parler de la dernière collection haute couture de tenues de plage. Non, son propos est de nous raconter la naissance de ce vêtement qui nous paraît presque normal aujourd’hui, sauf que ce petit morceau de tissu est entré dans nos dressings il y a moins de 100 ans, pour les femmes comme pour les hommes d’ailleurs.

Apprivoiser l’eau 

Dans l’Antiquité, l’eau, ses ouragans et ses tempêtes, mais aussi ses fonds marins peuplés de monstres effrayants éloignent en effet les humains des rivages. D’autant plus qu’ils ne « saisissaient pas comment l’eau circulait sur le globe ». 

Comme le précise d’emblée Audrey Millet, « l’analyse de la baignade dans les mythologies gréco-romaines indique au moins trois peurs : celles de la mort, de la femme et de la nudité ». Le décor est planté et les deux dernières peurs vont perdurer durant des siècles. Elles n’ont d’ailleurs pas totalement disparu aujourd’hui.

Car pendant très longtemps, les bains se prendront habillé, à l’instar de Marie-Antoinette qui se plonge dans une baignoire en métal « vêtue d’une longue robe boutonnée jusqu’au cou », la consigne étant encore et toujours de ne pas montrer son corps, notamment celui des femmes. 

Par ailleurs, la baignade en mer sera d’abord préconisée comme traitement médical avant d’être pratiquée pour le plaisir, tout comme la natation d’ailleurs.

Les premiers bains mais pas les premiers maillots 

C’est seulement au milieu du XIXe siècle que les premières plages apparaissent, d’abord réservées aux riches ainsi que les premières tenues de bain pour les femmes.

Machines à bain de l’époque victorienne, photo tirée du livre Les dessous du maillot de bain d’Audrey Millet.

Ce sont de longues robes portées sur des pantalons avec des cabines de bain tirées dans l’eau par des chevaux (comme on le voit sur la photo) afin d’échapper aux regards. De son côté, la religion catholique valorise la blancheur de la peau, le hâle étant associé au diable, à la damnation et au pêché. Les bienfaits du soleil ne seront reconnus qu’à la fin du XIXe siècle, avant d’en révéler les dangers mais sans faire disparaître la mode du bronzage pour autant.

Pour les premiers maillots de bain, une pièce naturellement, il faudra attendre le début du XXe siècle. C’est la nageuse australienne Annette Kellermann (1886-1975) qui lui donne un coup de pouce puisque comme le raconte Audrey Millet « pour maximiser ses performances, elle finit par se vêtir d’une combinaison qui dévoile les bras et les jambes et colle à la peau ». Une tenue qui fait bien évidemment scandale, ce qui ne l’empêche pas de gagner son procès en 1907 aux États-Unis, le juge ayant statué en faveur de l’argument sportif. Cette féministe a d’ailleurs été mentionnée en octobre 2021 dans l’exposition du centre Charles Péguy d’Orléans, Les Pionnières de la Belle Époque.

La nageuse Annette Kellermann a fait accepter le maillot de bain une pièce. Photo de Sophie Deschamps, exposition Les Pionnières de la Belle Époque, centre Charles Péguy d’Orléans, octobre 2021

Toutefois, ce découvrement progressif du corps de la femme n’est pas sans inconvénients puisque celle-ci doit désormais montrer une silhouette svelte, jeune, bronzée et sans défauts. Une injonction sociale forte qui ouvre la porte aux régimes, voire à l’anorexie et plus tard aux coups de bistouri intempestifs… en vain puisque les photos des magazines sont, elles, retouchées. Une norme qui demeure, même si les “rondeurs” sont beaucoup plus admises aujourd’hui. 

Une vraie réflexion sur le burkini

Enfin le grand mérite de cet ouvrage est de parler sereinement et intelligemment du burkini, loin des débats binaires et sommaires, pour ou contre. Car même si  la philosophe italienne Donatella Di Cesare déclarait en août 2016 dans le Corriere della Sera que « couvrir une femme, c’est piétiner la dignité de toutes » cette tenue de plage couvrant le corps créée en 2016 n’est pas sans rappeler les robes de bain évoquées un peu plus haut.

Ce burkini permet aussi aux femmes de se baigner en public même s’il les invisibilise dans le même temps. Mais comme le souligne Audrey Millet ce maillot de bain islamique « interroge le niveau de tolérance d’une société démocratique » puisqu’elle rappelle que « dans le golfe Persique, le burkini est inenvisageable, car les femmes ne portent pas de pantalons et ne se baignent pas en public ». Bref, un sujet plus complexe qu’il n’y paraît.

Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’en refermant ce livre vous regarderez désormais votre maillot d’un œil nouveau.

Les dessous du maillot de bain, une autre histoire du corps par Audrey Millet, Éditions les Pérégrines, mars 2022, 20 €

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