A la Maison des Associations d’Orléans, Bernard Teper a tenu une conférence sur la protection sociale . Membre du conseil scientifique d’Attac, responsable sécurité sociale de la Convergence nationale services publics, il participe à la rédaction de Respublica, publication web gratuite appartenant au réseau de la gauche républicaine, laïque, écologique et sociale. Co-animateur du Réseau Education Populaire, il est l’auteur et le co-auteur de nombreux ouvrages sur la laïcité et la protection sociale.
Selon Bernard Teper la casse de la protection sociale est organisée depuis des années. Il a bien voulu répondre à quelques questions pour Magcentre.
Propos recueillis par Jean-Paul Briand
Vous avez intitulé votre conférence « Protéger la sécurité sociale – Sécuriser la protection sociale ». La protection sociale française serait-elle en danger ?
Bernard Teper : De la plus grande avancée sociale de l’Histoire, la Sécurité sociale française est devenue la proie des prédateurs qui la transforment petit à petit en centre de profit faisant régresser de façon régulière la satisfaction des besoins sociaux. La principale conséquence est l’accroissement des inégalités sociales de santé. Pour mémoire, nous appelons “santé” non pas l’absence de maladie mais un état de bien-être physique, psychique et social comme l’avait stipulé l’OMS dans sa définition de 1946.
Avez-vous des exemples ?
B. P. : Tout récemment, nous venons d’avoir les chiffres d’un accroissement de la mortalité infantile dans notre pays. L’espérance de vie en bonne santé stagne voire diminue. Le nombre de maladies chroniques augmente. La malbouffe et le mal-logement est en forte croissance. Le pouvoir d’achat de la grande majorité des retraites diminue. L’universalité des prestations baisse fortement. La dignité des personnes en Ehpad n’existe presque plus. De nombreux accidents du travail et de maladies professionnelles ne sont plus reconnus. La précarité est en croissance exponentielle. La désertification médicale et les difficultés d’accès aux établissements financés par la Sécurité sociale s’amplifie, etc. Nous avons même vu le taux de mortalité dû au virus Sars-Cov-2 relativement élevé en France, par rapport à d’autres pays.
Quelles en seraient les causes ?
B. P. : Les pouvoirs publics disent qu’ils ne savent pas pourquoi et déclarent avoir lancé des études. Pourtant nous savons bien que la disparition des représentants élus des assurés sociaux dans sa gestion, ainsi que l’affaissement de la solidarité des cotisations pour son financement détruisent l’unicité de la Sécurité sociale voulue lors de sa création par les ordonnances d’octobre 1945. Ceci est aggravé par des actions antisociales du mouvement réformateur néolibéral depuis une quarantaine d’années via plusieurs dizaines de lois toutes tournées vers les intérêts financiers des oligarques et de leurs obligés. Ces éléments font partie des causes du mouvement d’abstention électorale dans la jeunesse, dans la classe populaire ouvrière et employée et chez les couches moyennes en voie de paupérisation. Les différents mouvements des gilets jaunes en porte par ailleurs témoignage.
Comment lutter contre ces attaques vis-à-vis de la protection sociale ?
B. P. : Le fait que « la Sécu » se révèle, tout juste derrière le pouvoir d’achat, comme la deuxième préoccupation des français dans les études d’opinion dans lesquelles elle est citée, mais qu’elle n’apparaît que très peu dans les campagnes électorales de 2022 est particulièrement préoccupant pour la cohésion sociale et la nécessaire émancipation des assurés sociaux. Pourtant, La Rochefoucauld* nous avait averti qu’il ne suffisait pas de punir un criminel sans chercher les causes du crime, ce qui demande de l’examiner pour que cela ne se reproduise plus.
Une campagne pour une nouvelle hégémonie culturelle incluant le projet de la protection des assurés sociaux et de leurs familles, de la naissance à la mort, afin de leur assurer la meilleure santé possible (avec la définition énoncée dans le préambule de la Constitution de l’OMS en 1946) doit être une priorité. Avis aux amateurs !
* : « La promptitude à croire le mal sans l’avoir assez examiné est un effet de l’orgueil et de la paresse. On veut trouver des coupables et on ne veut pas se donner la peine d’examiner les crimes » Maxime N° 267 de François de La Rochefoucauld.
Pour en savoir plus :
- « Contre les prédateurs de la santé » de Catherine Jousse, Christophe Prudhomme et Bernard Teper – Editeur : Osez la République Sociale
- « Pour en finir avec le trou de la Sécu, repenser la protection sociale au XXIe siècle » de Olivier Nobile (Auteur), Bernard Teper (Préface) – Editeur : Eric Jamet
- « Retraites : l’alternative cachée » de Jean-Marie Harribey, Christiane Marty, Pierre Khalfa, Marc Mangenot, Daniel Rallet, Rozenn Perrot et Bernard Teper – Editions Syllepse
- Le film de Gilles Perret « La Sociale »