Des législatives, pour quoi faire ?

Il y a plus d’un demi-siècle, André Chandernagor s’interrogeait sur le rôle du Parlement au sein d’une Cinquième République au parlementarisme rationalisé, dans un ouvrage intitulé Un Parlement, pour quoi faire ?“.

En cette période de temps suspendu, entre présidentielles et législatives, avec l’attente de la nomination du nouveau gouvernement, cette question se décline en plusieurs volets qui conditionnent les projections de résultats des scrutins des 12 et 19 juin prochains.

Par Pierre Allorant

La députation, représentation locale ou mandat national ?

Alors que le dernier mandat a été marqué par un grand écart croissant entre les résultats des scrutins locaux et les élections nationales, la nature traditionnellement hybride des législatives apparaît la clé de l’échéance de juin 2022. La discordance entre des élections intermédiaires à la fois locales – on disait « administratives » au XIXe siècle pour souligner l’absence supposée d’enjeux politiques – et au rôle de défouloir pour sanctionner la majorité nationale en place, et les « élections générales » est un grand classique. Mais avec la marginalisation confirmée des deux partis dominants de la Ve République lors de l’élection présidentielle d’avril dernier, le contraste est devenu gouffre abyssal avec le maintien de la maîtrise des territoires et des collectivités régionales, départementales et métropolitaines par socialistes et écologistes d’un côté, droite UDI-LR de l’autre.

Le vocabulaire souligne bien l’ambigüité de la mission des parlementaires : élus de la nation, représentants de l’intérêt général pour voter la loi et contrôler l’exécutif gouvernemental, députés et sénateurs sont aussi « du Loiret » ou « de l’Indre », voire « de la 1e circonscription » du département pour les députés. Leurs électeurs comptent bien sur elles et eux pour relayer et porter leurs espérances, leurs doléances et leurs projets dans l’enceinte parlementaire, comme le font les élus locaux au nom de l’intérêt public local. Cette dualité n’a pas été supprimée par l’interdiction du cumul des mandats, même si elle a restreint l’ancrage territorial des députés en faisant disparaître la notabilité traditionnelle du « député-maire » et du « sénateur-maire », interlocuteurs incontournables du préfet dans chaque département.

Calendrier et fait majoritaire : une majorité présidentielle automatique ?

Depuis 1999, avec le quinquennat et l’inversion du calendrier, les scrutins législatifs sont devenus des avis confirmatifs des présidentielles. Cette réduction de l’enjeu n’est pas un travers de la pratique, c’était l’objectif de la réforme qui visait à conjurer toute nouvelle cohabitation supposée paralysante pour le pays. De fait, le Président élu a reçu une sorte de garantie d’être à même de mener la politique validée par l’onction du suffrage universel. Avec la pulvérisation des grands partis de gouvernement et le brouillage des clivages, une majorité parlementaire conforme au verdict présidentiel reste-t-elle quasi-automatique ? La configuration en trois blocs au-dessus de 22 % (près des ¾ des voix au total) le 10 avril pourrait faire douter de l’efficacité persistante du fait majoritaire. Toutefois, l’isolement de la droite classique et la division matinée de désintérêt de l’extrême droite limitent le risque pour la majorité sortante. Reste le défi de la nouvelle alliance regroupée autour du 3e homme de la présidentielle, apôtre d’un 3e tour pour Matignon.

Mode de scrutin et abstention différenciée. Journée de la Nupes ou journée des dupes ?

Toutefois, le légitimisme de l’électorat n’a pas disparu et se manifeste par la démobilisation des familles politiques battues quelques semaines auparavant. En 2017, l’absence de motivation des électorats non-macronistes avait provoqué un raz de marée des Marcheurs au Palais Bourbon. En juin, la probabilité d’une telle disproportion entre les rapports de force dans le pays et la représentation parlementaire reste élevée. Ce serait sans doute le coup de grâce porté à un scrutin uninominal majoritaire à deux tours qui a le mérite de l’efficacité, mais le lourd inconvénient de laminer les oppositions, avec le risque de transférer leur expression dans la rue, et potentiellement dans la violence.

L’habileté du leader des Insoumis et les atermoiements prolongés du Président réélu ont installé le doute sur « l’élection du Premier ministre » et son résultat. Certes, la rapidité inédite de l’alliance nouée à gauche répond à la très forte aspiration unitaire de l’électorat de gauche, en particulier des jeunes, confirmant le « vote utile » du 10 avril. Mais le fait de dépasser le simple accord de désistement pour aller jusqu’à l’unicité de candidature dès le premier tour et même de signer un pacte programmatique interroge. Or, la répartition des circonscriptions s’est faite sur la base déformée de la présidentielle, assimilant allègrement les 22% à une adhésion au programme des Insoumis. Cette vision hégémonique est grosse d’un risque de fuite des électeurs modérés vers l’abstention ou le vote résigné pour la majorité présidentielle, d’autant que la mise en avant de la « désobéissance » européenne heurtera, comme les ambigüités sur l’Ukraine, le non-alignement, le nucléaire ou encore la conception de la laïcité.

Isabelle Adjani avait magnifiquement incarné le combat pour la liberté des femmes dans La Journée de la jupe. On peut penser que la NUPES (Nouvelle union populaire écologiste et solidaire) risque de déboucher le 19 juin, à l’instar du 11 novembre 1830, sur une nouvelle journée des dupes. D’ici là, nous saurons quel Richelieu conduira la campagne de la majorité aux législatives, avant de constater qui sera, à la suite de Marie de Médicis, contraint à l’exil de l’opposition.

Avec, pourquoi pas, une inversion des genres.

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