Cinq députés* du Centre-Val de Loire ont défendu les coassements des batraciens en rut, le chant des coqs aux aurores, les carillons des cloches de villages, les braiements et beuglements du bétail ainsi que les odeurs du fumier. Pour ces élus, ces bruits, ces effluves ne sont pas des nuisances mais de merveilleuses manifestations de vie des campagnes françaises qu’il faut protéger des assauts de citadins bornés.
Par Jean-Paul Briand
Fin 2019, un projet de loi a été déposé à l’Assemblée nationale par 73 députés de différents horizons politiques, dont cinq du Centre-Val de Loire*, afin d’instaurer la notion de « patrimoine sensoriel ». La loi propose qu’un catalogue des émanations odorantes et bruyantes faisant « partie intégrante de la vie rurale » soit inclus dans un « inventaire sensoriel des campagnes françaises » afin qu’elles ne puissent pas être qualifiées de troubles anormaux de voisinage. La loi a été promulguée le 29 janvier 2021 et publiée au Journal officiel du 30 janvier 2021.
De plaisantes et agréables manifestations de la ruralité
Les députés, à l’initiative du projet de loi, avaient été désagréablement étonnés, voire choqués, par les attaques contre des émissions sonores et olfactives du monde rural. Ils ont voulu réagir après les plaintes contre :
Pour ces 73 députés, ce sont toutes de plaisantes et agréables manifestations de la ruralité et certainement pas des nuisances. Ces sons et ces odeurs appartiennent au patrimoine sensoriel des campagnes françaises comme certaines traditions, pratiques sociales, événements festifs sont inscrits aux patrimoines culturels immatériels protégés par l’Unesco.
Une approche trop anecdotique et réductrice
Les auteurs du projet de loi considèrent ces bruits et ces effluves comme une part intangible de l’identité de notre pays. D’autres n’y voient que l’attachement passéiste à un folklore campagnard incommodant. Lorsque ces productions sonores ou olfactives sont ressenties comme d’authentiques pollutions ayant des répercussions négatives sur le bien-être, elles génèrent alors des disputes pour trouble de voisinage, accentuant la judiciarisation de la société française. Elles deviennent des exemples de l’incompréhension, de l’opposition entre ville et campagne, entre ruraux et urbains. Définir la notion de patrimoine sensoriel puis en faire l’inventaire n’est qu’une approche trop anecdotique et réductrice des problèmes que posent les mouvements de population de la ville vers la campagne, que ce soit au moment des vacances ou d’une façon plus pérenne.
Un effort pour l’accueil et l’adaptation de ces « néo-ruraux »
Durant la crise sanitaire, de nombreux citadins ont choisi de partir vivre à la campagne pour subir un confinement plus agréable, puis certains ont décidé d’y rester. L’Insee a ainsi observé que de très nombreux parisiens sont partis dans les campagnes bourguignonnes, normandes, du Centre-Val de Loire et de la Bretagne. Ces nouveaux arrivants, dont l’accueil n’était pas prévu, modifient les équilibres de la société rurale locale et entraînent des difficultés dans le « vivre ensemble ». Les conflits de voisinages précédemment relatés en sont des exemples cocasses mais révélateurs. Cet exode urbain vers la campagne n’est pas anodin car il a des impacts sur le foncier, les écoles, les transports et les identités régionales. Il est mal vécu, parfois rejeté par celles et ceux qui ont toujours habité sur le territoire occupé par les nouveaux arrivants.
Les citadins, qui font le choix de la campagne, doivent apprendre à vivre et accepter les manifestations sonores et olfactives locales comme ils supportaient les fumées et les bruits de la ville. Mais le monde rural saura-t-il faire un effort pour l’accueil et l’adaptation de ces « néo-ruraux » ?
* Les cinq députés de la région Centre-Val de Loire ayant signés le projet de loi : Pascal Brindeau (Loir et Cher), Nicolas Forissier (Indre), Claude de Ganay (Loiret), Guillaume Peltier (Loir et Cher), Richard Ramos (Loiret)
A lire : Exode urbain : quelles réalités ?