De belles conteuses japonaises parlent et séduisent

Ryusuke Hamaguchi ne chôme pas. Pendant le tournage ralenti par le Covid du dernier film sorti cet été, il tournait aussi des courts métrages. Il en a rassemblé trois dans un film très cohérent. Des femmes racontent pour séduire, pour manipuler, pour retrouver. Avec une grande minutie dans la construction de l’image, le réalisateur nous entraine dans ces magnifiques portraits de femmes formidablement présentes.

Par Bernard Cassat

Premier conte: dans la nuit japonaise, le couple se reconstruira-t-il? Photo 2021 Neopa/Fictive

On était encore ébloui par Drive my car, son dernier film sorti l’été dernier. Dans la région d’Hiroshima, il nous racontait des histoires tournant autour de la parole et d’amours compliquées pour finir dans Oncle Vania, la parole au théatre. Avec Contes du hasard et autres fantaisies, Ryusuke Hamaguchi ne change pas vraiment ses thèmes de réflexion. Les tournages des deux films ont d’ailleurs été très imbriqués à cause du covid, qui a étalé le travail. La traduction littérale du titre japonais serait « hasard et imagination ». Ce sont là aussi des histoires d’amour compliquées vécues mais surtout racontées, des histoires de séduction par la parole, ou d’importance de la parole dans la séduction.

Le premier conte, Magie ?, enferme deux jeunes femmes dans un taxi. L’une d’elle explique l’incroyable affaire qu’elle vient de vivre, une grande rencontre qui a duré 15 heures avec un jeune homme. Ils se sont parlé et sans sexe, juste en échangeant des mots, des idées, sont arrivés à un moment magique. La narration dure. Hamaguchi ne choisit pas la facilité : ce petit espace clos, dans la nuit, ne permet que très peu de variations visuelles. Et pourtant ces deux femmes dans le sombre, avec quelques lumières de voitures derrière, existent magnifiquement à l’image. Sans plans vraiment serrés, mais plus ou moins rapprochés, toutes deux dans l’image ou chaque visage seul, en bord d’image ou au centre, les variations minimes racontent elles aussi.

Mais ensuite, on va s’apercevoir que l’une d’entre elles n’a pas tout dit. Et le conte prend sa véritable dimension, celle de Liaisons dangereuses, celle d’amour dominateur et de manipulations des autres. Et Ryusuke ne nous donnera pas complètement la clef de cette histoire de trio.

L’auteur, le livre et la lectrice du deuxième conte. Photo 2021 Neopa/Fictive

La porte ouverte, le deuxième conte, confronte parole et érotisme. Là encore, un lieu presque clos, sauf la porte ouverte et les bruits de couloirs de l’université dans laquelle se déroule la scène centrale. Espace plus vaste que le taxi, mais finalement aussi confiné. La parole lue est crue, d’autant plus qu’elle est enregistrée pour nuire. Mais l’échange verbal autour d’un écrit transforme l’intention de départ, qui ne se réalisera que sur une erreur informatique d’adressage. Et la notion du temps revient dans cette histoire.

Un carton indique le passage de cinq années. Ryusuke Hamaguchi a besoin de conclure à long terme, de retrouver ses personnages après les conséquences des actes qu’ils ont racontés et qui bouleversent leur vie. Ils se retrouvent par hasard dans un transport en commun. Que le personnage féminin, pivot de cette histoire, soit la grande perdante, n’est pas anodin. L’intensité de ce qu’elle a vécu ne peut pas compenser la perte de ce qu’elle était.

Les deux femmes vont-elles jouer dans la vraie vie ? Photo 2021 Neopa/Fictive

Le dernier conte, Encore une fois, est plus mystérieux. Il fait franchement appel au théatre, mais dans la vie réelle. Deux femmes se croisent et pensent se reconnaître. Mais toutes deux se trompent. Elles jouent donc à être l’autre, celle qui aurait pu être reconnue. Et comme l’une d’elle est homosexuelle, l’échange est évidemment sous-tendu par le désir. La rencontre dans des escaliers mécaniques qui mènent au métro est visuellement un grand moment de théatre cinématographique. Elles montent puis redescendent, puis jouent à recommencer. A chaque fois les prises de vue sont différentes. L’espace est plus ouvert que dans les autres contes, quoi que ces escaliers et la dalle urbaine derrière sont assez limités. Et la maison de la femme rencontrée est très théatrale, elle aussi. Le jeu entre elles, un jeu de rôles, comme elles disent, conduira à nommer celle qu’elle pensait reconnaître, et qui n’est ni l’une ni l’autre.

Un nom, un mot conclut cette histoire et conclut le film. Cinéma intellectuel mais fascinant par sa rigueur thématique et ses trouvailles continuelles. Un grand travail du champ-contre-champ, par exemple dans les scènes de dialogue du premier conte, une recherche méthodique de rassembler les deux femmes dans la même image dans le dernier conte, prouvent toutes les qualités de cet immense cinéaste qu’est Ryusuke Hamaguchi. D’autant que ses thèmes, la parole, le théatre, l’amour, le sexe, sont bien évidemment à la pointe de la modernité.

Contes du hasard et autres fantaisies

Scénario, réalisation : Ryusuke Hamaguchi

Interprétation : Kotone Furukawa, Ayumu Nakajima, Hyunri, Kiyohiko Shibukawa, Aoba Kawai, Fusako Urabe, Katsiki Mori, Shouma Kai

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