Pierre Allorant : « Emmanuel Macron symbolise bien l’ambivalence du progressisme »

L’historien et doyen de la Faculté de Droit, Économie et Gestion d’Orléans, vient de coordonner avec son collègue Walter Badier un dossier collectif de la Revue d’histoire politique « Parlement(s) » qui pose la question « Le progressisme existe-t-il ?» **. Juste avant le premier tour des présidentielles Pierre Allorant* explique les fondements du progressisme porté aujourd’hui par Emmanuel Macron.

Propos recueillis par Jean-Jacques Talpin

Pierre Allorant. Photo Magcentre

Comment définir ce qu’est le progressisme ?

Pierre Allorant : C’est très difficile car c’est un concept un peu vague, attrape-tout et qui recouvre bien des significations. La notion de progrès est apparue au XVIIIe siècle avec les Lumières. C’était alors une manière positive et optimiste de regarder l’avenir avec le développement des progrès technique, scientifique, social, sociétal. C’était alors plutôt un concept de gauche, voire révolutionnaire !

Et français ?

P.A. : A l’origine oui mais qui s’est très vite diffusé dans le monde, en Europe, en Amérique Latine, aux États-Unis où le progressiste Théodore Roosevelt faisait campagne contre les trusts. On le trouve aussi dans le monde catholique avec les partisans de Vatican II. En France après 1945 les compagnons de route du Parti communiste à l’image de Pierre Cot se réclament du progressisme, tout comme l’ancien président du conseil italien Matteo Renzi. La « troisième voie » recherchée par Tony Blair, Lionel Jospin et Gerhard Schröder peut aussi être qualifiée de progressiste. Depuis cette idée a plutôt évolué vers le centre droit.

Cela reste pourtant un engagement positif ?

P.A. : C’est vrai si l’on accepte que le progressisme s’oppose aux conservateurs et aux populistes avec la mise en place d’une politique rationnelle capable de s’adapter à tous les changements. Emmanuel Macron symbolise bien l’ambivalence du progressisme : d’un côté un libéralisme politique et sociétal plutôt de gauche, de l’autre un néolibéralisme économique clairement ancré à droite.

Emmanuel Macron a donc réactivé cette question ?

P.A. : En un sens oui en prônant le dépassement du clivage gauche/droite et en plaidant pour un humanisme mâtiné de centrisme ce qui faire dire à certains analystes qu’Emmanuel Macron est en fait un successeur de Valéry Giscard d’Estaing. Mais sa conception du progressisme est aussi dangereuse car avec elle il n’y a pas d’alternative politique. Si l’on n’est pas progressiste alors on est populiste ou réactionnaire à la sauce droite versaillaise. C’est le match Macron contre Le Pen ou Zemmour.

“Emmanuel Macron peut très bien être réélu le 24 avril mais les législatives sont incertaines

Mais Emmanuel Macron a imposé ce concept face au vide des idées de ses adversaires ?

P.A. : Parfaitement, la gauche n’a pas travaillé depuis l’élection de 2017, la droite ne s’est pas renouvelée et lutte contre ses divisions. Emmanuel Macron peut très bien être réélu le 24 avril mais les législatives sont incertaines. Il est aujourd’hui le représentant d’un bloc élitaire avec un fort électorat chez les diplômés, les retraités. Cela ne suffit pas forcément à faire une majorité. Cela dit il faut reconnaître à M. Macron un vrai sens du pragmatisme et de l’adaptation aux situations : hier néolibéral il s’est transformé presque en homme de gauche avec le « quoi qu’il en coute ».

Mais le progressisme ne répond-il pas à la crise de notre monde ?

P.A. : C’est vrai face à Poutine et à son agression en Ukraine, face aux régimes autoritaires en Pologne, en Hongrie ou en Turquie notamment le progressisme synonyme d’humanisme est un concept qui fonctionne encore et qu’incarne bien M. Macron.

Le progressisme lui survivra-t-il ?

P.A. : Emmanuel Macron est un homme seul, sans successeur potentiel. S’il est battu cela entraînera une vraie crise au sein de la macronie mais une crise qui sera déportée de 5 ans s’il est réélu le 24 avril. On ne pourra échapper à un fractionnement de la macronie entre la droite d’Édouard Philippe, le centrisme de François Bayrou ou la gauche de Le Drian, Castaner ou Dussopt. Mais la crise sera encore bien plus terrible à droite…

* Publié aux Presses Universitaires de Rennes

**Il est par ailleurs collaborateur de MagCentre

Commentaires

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  1. E.Macron “symbolise un libéralisme politique et sociétal plutôt de gauche” donc politiquement c’est être de gauche que de diriger le pays pendant 5 ans (et ceci n’est pas contestable) seul faisant juste confirmer ses choix par une majorité à la botte. Comportement qui est à l’origine d’une nouvelle démocratie: la démocratie monarchique.
    Et sociétalement: par exemple la brutalité de la répression des manifestations avec en conséquence de nombreux, nombreuses mutilés à vie c’est être de gauche ? .
    En fait, à cette fonction , sans s’en cacher, Macron a bien fait le job pour ses “employeurs” fonds financiers, (la combine McKinsey en est une illustration) et qu’il soit sans crainte après son passage aux affaires publiques il aura de quoi pantoufler jusqu’à sa retraite!
    Mais en rien il ne peut être qualifié de progressiste.

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