Scène nationale d’Orléans : Jan Martens chorégraphie un concerto

Mardi soir, le spectacle chorégraphié par Jan Martens sur une musique du compositeur polonais Görecki proposait une incarnation de la musique. Spectacle inhabituel et fascinant, la troupe de 17 intervenants nous a emmené dans les sons. L’orchestre de gestes impressionne par sa rigueur, ses échanges internes entre danseurs-euses et ses ensembles. Le public a apprécié.

Par Bernard Cassat

A chacun ses gestes dans l’ensemble cohérent. Photo Phil Deprez

Sur la scène immense de la salle Touchard dénudée de tous ses atours, un danseur paraît bien petit et presque dérisoire. Mais lorsque la violence du concerto pour clavecin et cordes de Henrick Görecki éclate en même temps qu’une lumière adaptée, le danseur solitaire devient absolument fascinant. D’autant que ses gestes sont l’exacte traduction physique des sons. Il montre tout de suite les gestes qui vont le dominer pendant une heure et demi. Et tout le spectacle de Jan Martens restera dans cette optique : les sons deviennent des gestes, ou plutôt les gestes ne sont que transcriptions de ce que l’on entend. Avec toutes les variations possibles, de un à la troupe entière. Les gestes du premier se basent sur le rythme, mais indiquent aussi brièvement la dimension lyrique de la mélodie. Et les autres danseurs-euses qui viennent soit un à un, soit à plusieurs, traduisent chacun un aspect de la musique. Chacun a son geste, sa série de gestes. Le rythme peut être simple et très rapide, celui du clavecin par exemple, mais on peut suivre aussi celui des contrebasses qui sautent certains temps, ou bien se régler sur les toniques qui sautent des mesures. Si bien que les gestes de chacun ne sont pas tous les mêmes, mais l’ensemble traduit l’orchestre entier.

Chaque individu reste lui même dans un bel ensemble

Avec en plus le caractère de chaque interprète. Il y a le nerveux qui essaye de suivre le rythme le plus rapide et le plus complet, avec une frénésie épuisante, il y a le(la) calme qui s’attache au rythme medium, il y a l’expressionniste qui suit plutôt la mélodie tout en restant bien sûr dans le cadre rythmé, il y a le classique qui respecte la ligne de clavecin et qui en extrait le caractère historique. Et lorsque les 17 danseurs-euses sont ensemble, c’est l’orchestre entier que l’on peut voir sur scène.

Une longue marche silencieuse

Cette démarche de montrer la musique, un peu brute, ne permet pas à une narration de s’installer. Les mouvements, qu’ils soient doux ou violents, rapides ou calmes, ne renvoient pas à autre chose qu’aux sons. Le texte dit au beau milieu, alors que la musique est terminée, n’apporte pas vraiment d’histoire. Ces insanités grossières sorties de Facebook ou autre, tout à fait dans l’air du temps, ne disent pas grand chose dans, ou de, la danse elle même. D’autant qu’un long moment marché, en groupes, en lignes qui se croisent, se coupent, se font et se défont sur bruit des pieds sur le sol, des crissements des basquets sur le plastic, restent dans le visuel. Impressionnant au début, on se demande où le spectacle s’en va. Les chansons qui flottent ensuite comme en sourdine n’apportent pas vraiment de réponse.

La dernière danse du concerto. Photo Phil Deprez

Mais tout renaît avec de nouveaux habits, que la lumière teinte en rouge vif. Le concerto éclate à nouveau et la magie recommence. Il ne dure que dix minutes, donc on peut l’entendre plusieurs fois. Et on reconnaît les gestes, on reconnaît le nerveux, la calme, la référente de base, cette femme qui fait avec ses bras un geste à la Pina Bausch. La scène entière est alors occupée par cet orchestre de gestes et c’est totalement fascinant.

Une mécanique qui fonctionne à merveille

Et même si on n’a pas trop décelé les intentions de Jan Martins, « le repli face à la tourmente comme acte de rébellion », l’énergie dégagée par cette troupe de 17 danseurs-euses est totalement prenante. La musique donc la danse a une force de frappe fonctionnant à merveille. On la ressent puissamment. Cette tentative ne se termine heureusement pas par des corps écrasés et des os brisés, comme annonce le titre du spectacle. Au contraire, on ressent une cohérence corporelle dans ce groupe qui dessine devant nous un concerto et nous en communique la beauté et l’énergie. Dix sept corps se fondent en une même expression alors qu’ils sont bien repérables individuellement. La salle a été sous le charme de cette force spectaculaire.

 

any attempt will end in crushed bodies and shattered bones

Chorégraphie de Jan Martens

Concerto pour clavecin et cordes de Henryk Görecki

Scène nationale d’Orléans

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