En rase campagne…

[Carnet de campagne]

La « drôle de campagne » présidentielle va-t-elle enfin démarrer, avec le début de la campagne officielle et le tremplin populaire offert par les grands meetings du dimanche 27 mars ? Perdus en rase campagne et lassés par des thématiques le plus souvent éloignées de leurs préoccupations, bien des électeurs menacent de traduire la surdité des candidats et leur indifférence à l’égard d’une écume médiatique vaine et parfois fétide en s’abstenant massivement au rendez-vous électoral majeur sous la Cinquième République. 4 sur 5 jusqu’en 1981 et à nouveau en 2007, 3 sur 4 depuis lors, les électrices et électeurs français ne seront-ils plus que 2 sur 3 à participer au seul scrutin qui mobilise encore, après l’abstentionnisme sanitaire des municipales de 2020 et l’indifférence civique majoritaire des régionales et départementales de 2021 ?

Par Pierre Allorant

De « Deux français sur Trois » au « tiers parti »

VGE avait rêvé de rassembler « Deux Français sur trois » sur le seul projet libéral, centriste et européen. Si bien des observateurs voient en Emmanuel Macron son héritier, le président sortant rassemblera au mieux le 10 avril un petit tiers des suffrages exprimés, probablement moins de 20 % des inscrits, soit 1/5e et le 24 avril, par rejet de sa ou de son adversaire, un gros tiers. Il serait outrancier, à l’image des rassemblements éruptifs du Trocadéro, d’en attribuer l’unique responsabilité au locataire de l’Élysée.

Toutefois, quand on prétend renverser un système partisan en dénonçant son obsolescence comme il l’a fait en 2017 avec le clivage droite/gauche, on peut s’attendre à être tenu comptable de l’alternative proposée. Force est de constater que le mouvement né du séisme de la double débâcle Fillon/Hamon n’a guère produit de neuf dans le débat d’idées et a échoué à instaurer une vraie confrontation démocratique avec les oppositions éparpillées. Le schéma réducteur « Progressisme contre Populismes », à savoir « Bloc élitaire » contre « Bloc populaire », a caricaturé les enjeux et rendu impossible la préparation d’alternatives réalistes au macronisme.

Fractions, abstention, exaspération: la guerre des Trois aura bien lieu

D’où notre situation paradoxale aujourd’hui : un Président sortant fortement contesté durant son mandat, tant sur sa pratique que sur le fond, mais archi-favori et dont le seul véritable adversaire reste lui-même, comme l’a à nouveau montré son entrée en campagne, entre négligence et brutalité des propositions (retraite) ou du propos (les profs « disparus » pendant la crise Covid). Ce serait faire injure à sa culture historique que de lui rappeler la déconvenue du général de Gaulle, mis en ballotage en 1965 faute d’avoir respecté adversaires et électeurs.

Malheureusement, nul François Mitterrand en vue ni même de Jean Lecanuet ; la France devra se contenter de l’autoproclamée éleveuse de chats – pourtant habituel animal de compagnie favori des sorcières – dédiabolisée par la grâce du polémiste agité du PAF, dont les espoirs de « Reconquête » seront bientôt enterrés à l’île d’Yeu, près de Pétain et des bocages de Philippe de Villiers ; et du plus fringant septuagénaire, habitué des « remontada » dont la réelle chance de « profiter du trou de souris » réside dans l’exaspération et la désespérance de la France de Gauche, amoindrie mais qui pèse toujours plus d’un quart de l’électorat, à peine moins que l’extrême droite, d’où un désir violent de ne pas être à nouveau, une quatrième fois, écartée du tour décisif, après 1969, 2002 et 2017.

Le choc des affiches, le poids des maux de la campagne

Alors que nous entrons dans le mois d’avril décisif, quel fil inattendu nous reste-t-il à découvrir ? Les affiches qui couvrent les panneaux des portraits des candidats devant les écoles tentent de faire passer un dernier message, par la photo et par la légende. On sourira à « femme d’Etat » qui tente de conjurer le désastre du débat d’entre-deux-tours de 2017 où la crédibilité de Marine Le Pen avait volé en éclats. Le président sortant semble faire amende honorable en nous promettant que, cette fois, on ne l’y reprendra plus à gouverner seul, sans nous et en ignorant élus et corps intermédiaires, à moins que le « nous tous » s’adresse en premier lieu aux cabinets conseils et le « avec vous » au lobby des chasseurs. En tout cas, l’image dit le contraire du message : le Président prend toute la place sur la photo, Jupiter est tellement grand que le haut de son crâne est coupé, et les Français présents à l’arrière n’ont droit qu’à une figuration symbolique et tronquée, pas même à un visage entier.

Valérie Pécresse et Anne Hidalgo, à qui rien n’aura été pardonné dans cette campagne, apparaissent entre épuisement et crispation en l’attente du verdict. « Ensemble changeons d’avenir » apparaît comme un message personnel un peu désespéré de la maire de Paris, dont le nom ne figure qu’en petits caractères, écrasé par le slogan, même si la photo est moins tristement défaite que celle de sa concurrente en déboires de droite.

En Cyrano de la Transition climatique, nez au vent sans tirade, Yannick Jadot veut « faire face », à l’extrême-droite comme aux risques climatiques, montrer qu’il voit loin, au risque de donner l’impression qu’il regarde déjà ailleurs. Seuls les inévitables candidats trotskystes, spécialité française, la jouent détendus, sereins et sans prétention à incarner la fonction présidentielle, à avoir « le courage de faire ». Fabien Roussel, le candidat de « la France des jours heureux », est également sur cette veine optimiste, totalement à contre-courant du contexte de post-pandémie, de guerre, de choc pétrolier et de risque du retour à la « stagflation » de Raymond Barre, en une volonté délibérée d’en revenir aux Trente Glorieuses avec son physique de « vedette » des années 60, sourire à la Lecanuet en prime, très loin des standards communistes traditionnels. À l’opposé, Zemmour porte également un message nostalgique, mais idéologiquement inverse : « pour que la France reste la France », ce n’est pas le programme du CNR à la Libération, c’est revenir sur 150 années de République et sur le « creuset français » d’un pays façonné par l’apport migratoire.

Le visage inquiétant envoie un message non de conservation, mais de retour en arrière. Sur cet aspect, le cliché de « Marine présidente » est réussi, là où le slogan de compétence est peu crédible. L’utilisation du prénom, l’insistance sur la candidature féminine, le sourire et la luminosité de la photo vient confirmer – malheureusement – la normalisation, le déclin du rejet, voire une sympathie d’une part de l’opinion pour une candidate aguerrie et trahie par beaucoup de cadres, modèle Jacques Chirac 1995. Bref, attention danger : sur les dynamiques et les entrées en campagne, rien n’est joué à aucun des deux tours. C’est aussi ce que veut montrer « le 3e homme », tel Bayrou en 2007, Mélenchon « un autre monde est possible » : le slogan est positif, à la fois ambitieux et modéré, la photo est décalée car le candidat ne regarde pas l’électeur, sans doute voit-il plus loin comme pour faire oublier que son âge, visible, limite les possibilités de projection sur d’autres candidatures.

Pour un débat démocratique sans « plan blanc » : les Visiteurs d’un soir et le « temps de cerveau humain disponible »

A huit jours du premier tour, le « plan blanc » doit être déclenché pour éviter que la mobilisation citoyenne ne fonde comme neige au soleil ou ne se transforme en vote blanc de la désespérance démocratique. Une semaine intense sur les véritables enjeux climatiques, de défense, sur le pouvoir d’achat et la formation, sur les défis de la recherche européenne. Voilà le vrai « vote utile » qui seul éviterait un mauvais remake du 21 avril 2002, qui n’aurait rien d’un poisson d’avril : une claque à la Will Smith au visage des partis, garants de la démocratie. Laissant la place à de dangereux « Visiteurs du soir », ceux qui cultivent toutes les rancœurs, avec le soutien complice des propriétaires de notre « temps de cerveau disponible ».

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