Le rappeur Sheldon, entre ombre et lumière

Membre fondateur et rappeur emblématique du collectif parisien de la Soixante-Quinzième Session, le rappeur Sheldon venait partager son projet Spectre à la salle du Bouillon à Orléans, le jeudi 24 mars dernier. Sorti le 5 novembre 2021, l’album, composé de dix-neuf titres, est une véritable introspection. L’artiste se confie à travers un opus très personnel, au cœur d’une ambiance musicale dont lui seul à le secret. Entre solitude et espoir, Sheldon nous livre avec son second album Spectre le projet le plus intimiste de sa discographie.

Pour en apprendre davantage sur la création de ce projet et de tout le processus créatif qui l’entoure, Magcentre s’est rendu au Bouillon pour rencontrer Sheldon, quelques heures avant de monter sur scène.

Propos recueillis par Antoine Lebrault

Sheldon sur la scène de Bouillon. Photo : Antoine Lebrault

Guitariste depuis l’enfance, l’artiste grandit dans un cercle ou les genres musicaux sont nombreux. Nous pouvons citer le jazz, le reggae ou encore le rock. Il découvre le rap lorsqu’il est adolescent, et décide d’en faire son moyen d’expression artistique. Rappeur depuis plus dix ans, mais également producteur et multi-instrumentiste, Sheldon possède plusieurs casquettes qui lui ont permis de développer son propre univers créatif.
Après cinq EP et un précédent album du nom de Lune Noire, Sheldon se recentre sur une écriture plus intimiste et personnelle pour son second album, Spectre.
L’artiste se dévoile pour créer une proximité avec son public, en s’exprimant parfois directement à lui de manière frontale. Cette transmission d’émotions se ressent sur scène. Le caractère introspectif de l’album fait que le concert est des plus intimistes.


On se rencontre quelques mois après la sortie de l’album Spectre et quelques semaines après le début de ta tournée. Comment tu te sens à l’idée d’aller à la rencontre de ton public ?

Sheldon : Je suis vraiment trop content. En général ça se passe toujours plutôt bien, donc c’est un grand plaisir. Je suis à chaque fois choqué de voir qu’il y a des gens qui m’écoute un peu partout, et ça me touche. Ça nous fait bouger un peu de Paname pour faire du son et ça fait partie des trucs pour lesquels on fait ce job donc on est heureux.

Ton album Spectre est indéniablement le projet le plus introspectif de ta discographie. Il contraste énormément avec tes précédents EP et ton premier album Lune Noire. Comment peux-tu nous l’expliquer ?

Sheldon : Dès lors que j’ai fait Lune Noire, je ne me suis pas dit que c’était un projet pour masquer ou pour moins parler de moi en profondeur, ce n’était pas du tout ma logique. Si on regarde ce que je faisais autour, que ce soit les feats avec les gens ou pour mes EP (RPG et FPS), c’étaient des projets où je parlais quand même de moi. Spectre est plus introspectif et personnel car c’était un moment dans lequel j’avais envie d’écrire comme ça. Ce n’était en aucun cas calculé. Les morceaux que j’écrivais étaient plus personnels donc c’était cohérent de les rassembler dans un album plus intime.

On relève beaucoup de références à tes précédents disques au sein de cet album. Est-ce ta façon d’écrire où bien un choix de ta part de faire concorder tes projets entre eux ?

Sheldon : Mes mécaniques d’écriture fonctionnent à base de répétitions et très souvent je reprends des axes ou des thèmes ou encore des phases de précédents morceaux. Ma manière d’écrire est comme ça. Dans les morceaux je répète souvent les choses, même hors refrain. C’est pour ça que mes projets vont se croiser. On retrouve des références à Lune Noire dans Spectre. Je cultive ce style d’écriture mais ce n’est pas une réflexion qui est calculée.

Sheldon dans les loges du Bouillon
Le rappeur parisien Sheldon, venu performer au Bouillon le 24 mars dernier. Photo : Antoine Lebrault

Ta musique est pluridisciplinaire. Tu utilises plusieurs tons et plusieurs façons de poser sur une instrumentale. Parle moi de tes influences rap, quelles sont les figures qui vont t’inspirer ?

Sheldon : Mes proches sont les figures qui m’inspirent, la plupart du temps. Forcément, je pense à Népal, un axe et un pilier pour moi, pendant des années ; à l’inspiration de tous les rappeurs du Dojo. Même en faisant des choses complètement différentes, on s’inspire les uns les autres. Je prends comme exemple Limsa, il fait des choses très différentes des miennes et c’est très inspirant, pour lui comme pour moi. Après en rap français, c’est lorsque je me heurte à un artiste qui fait des choses que je suis incapable de faire. Par exemple, Laylow ou Luidji. Ils font des choses radicalement différentes de ce que je fais moi. Ce sont des trucs qui vont m’inspirer ou me donner des idées. Quand c’est très loin de moi, il n’y aucune chance que je clone. Ça me permet de capter des mécaniques, et de me les réapproprier, mais jamais en usurpant ce que fait la personne. De manière générale, mes inspirations viennent d’artistes qui font de la musique qui ne me ressemble pas du tout.

J’aimerais qu’on parle des artistes présents sur l’album. Il y a quelques figures de la 75e Session, je pense à Zinée, à M Le Maudit et aussi à Damlif. Il y a la présence d’Isha qui n’est pas un membre du collectif. Comment tu choisis tes feats ?

Sheldon : Je travaille avec des gens avec qui j’arrive à m’entendre musicalement, et à produire des choses qui vont me parler. Mais il n’y a pas d’automatisme au niveau des featurings. Ce n’est pas parce que Zinée ou M font partie du collectif qu’ils seront nécessairement sur le projet. Il y a plein de gens que je vois tous les jours qui sont mes reufs et qui ne sont pas sur Spectre. C’est surtout une question d’envie et de mood. Ce sont des feats choisis. Il n’y a pas d’obligation, on essaye de ne pas être trop corporate, on l’est de fait car nous sommes un collectif et les gens nous connaissent comme tel. Les gens vont connaître la 75e Session mais pas les entités distinctes qui sont dedans. On a cette image qui nous colle à la peau, on s’oblige à rien, mais faire des morceaux avec des personnes avec qui je suis très régulièrement c’est très cohérent, en rapport avec l’alchimie que j’ai avec eux.

Tu attaches une importance aux visuels accompagnant tes projets. Les clips sont-ils nécessaires pour toi ?

Sheldon : Je dirais que ça dépend des projets dans lesquels je suis. Lune Noire et Spectre sont deux projets différents. L’histoire de Lune Noire était écrite et je savais déjà ce que j’allais raconter. J’ai une trame qui me laisse moins libre. Les clips viennent comme du cinéma. Pour Spectre c’est fort l’inverse. Je regarde plutôt des réals que je trouve talentueux et avec qui j’ai envie de bosser. Je voudrais citer les Gars Laxistes, Clifto ou John Janssens avec qui j’ai travaillé pour Spectre. J’essaye de leur laisser la place de me proposer des trucs, ensuite ça me plaît ou non. Sur Spectre, j’ai eu de la chance car j’ai réussi à bien choisir les gens avec qui je voulais m’entourer. Ce sont des personnes sensibles qui comprenaient ce que je faisais, donc c’est quasiment que des premières propales acceptées. Je leur donne le morceau, ils ont une idée, on la valide et on bosse ensemble dessus. Sur Spectre, je n’ai vraiment pas été auteur des idées de clips. J’y souscris, je m’y intéresse, c’est un dialogue entre le réalisateur et moi. En vérité, je laisse les gens faire car je n’aime pas les clips campagne publicitaire ou le réalisateur répond à un cahier des charges prédéfini. Les réalisateurs de clips sont des artistes et je leur laisse la liberté de me proposer des idées.

Pour la conception de cet album, tu as pu bénéficier de la participation financière de ton public

Sheldon : Le projet n’est pas le même sans eux. J’ai rencontré plein de gens via cette opération avec qui je m’entends super bien. On fait des projets. C’est un métier de l’humain et c’est une part très importante de la musique d’aller la partager sur scène avec le public. Il y a toujours des micro communautés de ce projet participatif qui sont présents dans les salles de concert, et forcément j’ai une pensée et une affection bien particulière pour eux. Sans eux, Spectre n’est pas ce qu’il est. On a eu beaucoup de moyens grâce à eux. J’étais vraiment très heureux de savoir qu’il y avait des gens qui attendaient le projet, c’était très gratifiant et encourageant. Ça compte aussi dans l’affection que je leur porte, je suis conscient que ce projet est devenu possible parce que des gens m’ont aidé à le faire.

En mai 2021, la 75e Session a annoncé qu’elle quittait le Dojo, après neuf années de production musicale. Ce studio était devenu votre temple, et c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre pour le collectif. Peux-tu nous donner des informations sur le nouveau studio ?

Sheldon : Après de longues pérégrinations, on ouvre un nouveau studio qui va s’appeler Studio Winslow, dans le 20e arrondissement de Paris. C’est un double studio, il y a deux régies et deux cabines. Nous sommes quatre ingénieurs du son. Yung Cœur, Vidji Stratega, Shien et moi. L’inauguration du studio à lieu mardi prochain. C’est une question plutôt appropriée (rires).
Ça va être tout beau, c’est un nouveau bac à sable dans lequel on va pouvoir explorer plein de nouvelles choses donc c’est trop fou. Le changement, c’est qu’aujourd’hui il s’agit d’un studio, le Dojo c’était une maison dans laquelle on vivait, c’est ça qui va changer le rapport au lieu. On est hyper heureux d’être dans le vingtième, c’est un quartier qu’on aime trop. On y a passé une partie de notre adolescence donc on est archi contents de s’y retrouver de nouveau. C’est l’enthousiasme d’un nouveau projet qui te donne envie de faire plein de belles choses.

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