L’espérance de vie des Français augmente sans cesse, une grande partie des baby-boomers aura plus de 85 ans en 2030, on prévoit 2,5 millions de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer en 2050. Le grand âge et la dépendance deviennent ainsi un périlleux problème pour la société française mais aussi un fantastique gisement lucratif.
Contre une certaine vision marchande du vieillissement illustrée par l’affaire Orpéa, l’Uriopps* représente des organismes qui défendent une approche sociale et solidaire de la vieillesse. Nous l’avons rencontrée..
*Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (URIOPSS) de la Région Centre-Val de Loire.
Propos recueillis par Jean-Paul Briand
Magcentre : Le livre de Victor Castanet « Les Fossoyeurs » a dévoilé la maltraitance dans des établissements d’hospitalisation pour personne âgée dépendante (Ehpad) gérés par le groupe privé Orpea. Que répondez-vous lorsque l’amalgame est fait entre le secteur privé non lucratif, que vous défendez, avec le secteur privé commercial ?
Uriopss Centre : Effectivement, certaines pratiques de gestion d’acteurs lucratifs ont conduit à des actes maltraitants et irrespectueux sur des personnes en situation de grande fragilité. Il faut en tirer toutes les conséquences, sans amalgame entre le secteur privé commercial et le secteur privé non lucratif, associations et fondations, qui représentent 1/3 des places d’EHPAD.
Même si le statut ne fait pas la vertu, les principes de gestion du secteur non lucratif apportent des gages : le caractère désintéressé de la gouvernance des structures, l’administration assurée par des bénévoles, des citoyens, des représentants de familles, le réinvestissement des éventuels excédents budgétaires exclusivement au service du projet et des résidents sont autant d’éléments constitutifs de l’ADN des acteurs privés non lucratifs et qui guident leur action au service des personnes âgées.
Magcentre : Suite au scandale Orpea, le gouvernement a annoncé toute une série de mesures : ratio de personnels par résident, contrôles inopinés, formations contre la maltraitance, démarche qualité, enquête annuelle de satisfaction, etc. Qu’en pensez-vous ?
Uriopss Centre : La mise en place de contrôles supplémentaires a été la première réponse apportée par le gouvernement. Il faut rappeler que nos EHPAD, rendent déjà compte annuellement de leur activité aux autorités et sont inscrits dans des démarches d’évaluation, en interne et en externe. Notre Union n’a jamais été opposée à ces contrôles, ni à toute démarche visant à soutenir l’amélioration de la qualité et la participation des personnes concernées et de leur famille à la vie des structures, mais cette décision est très insuffisante par rapport aux réels enjeux.
Les principaux problèmes de tous les EHPAD sont liés à l’absence d’arbitrages clairs des politiques publiques sur leur rôle dans l’offre pour personnes âgées : Ces établissements doivent-ils renforcer leur médicalisation ou rester des lieux de vie, investir dans la prévention de la perte d’autonomie et la participation à la vie sociale ? Doivent-ils se doter d’un panel de compétences afin de devenir des lieux ressources pour les acteurs d’un territoire ? Malheureusement, en fonction des priorités du moment, des financements non pérennes sont attribués sans aucune vision à long terme.
Magcentre : Depuis 2007, à chaque quinquennat, une loi sur la dépendance et le grand âge est promise, mais à chaque fois remise à plus tard. Est-ce parce que les personnes âgées en grande dépendance ne manifestent pas et ne se constituent pas en lobby ?
Uriopss Centre : Même s’il n’y a pas, en France, de « lobby gris » aussi puissant qu’aux Etats-Unis, il existe des associations de familles et d’usagers qui militent aux côtés de notre Union et d’autres Fédérations du secteur. Elles sont investies dans l’ensemble des instances, au niveau local, régional et national et ont largement contribué aux projets de loi successifs. Mais les décideurs politiques agissent souvent par réaction à des évènements : la canicule de 2003 a conduit à la mise en place de nouveaux financements en contrepartie de la journée de solidarité ; la crise sanitaire a permis de reconnaître l’investissement des professionnels des EHPAD ; l’affaire ORPEA a abouti à une batterie de nouvelles mesures sans réelle vision adaptée aux besoins des personnes âgées en perte d’autonomie.
Magcentre : Le grand âge doit-il être la grande cause nationale du prochain quinquennat ?
Uriopss Centre : C’est l’ensemble des personnes vulnérables qui doivent être reconnues comme grande cause nationale du prochain quinquennat et parmi elles, les personnes en perte d’autonomie.
Les récentes revalorisations salariales accordées, suite à la crise sanitaire, ainsi que les annonces du gouvernement pour renforcer la médicalisation des EHPAD, ne permettront pas, à elles seules, de répondre aux enjeux du secteur. Le temps n’est plus aux constats, aux rapports et autres consultations. Il est nécessaire de passer des paroles aux actes !
Il faut massivement réorienter l’argent public afin d’améliorer l’attractivité des métiers du grand âge, en EHPAD mais aussi à domicile.
Plutôt que de changer d’orientations tous les cinq ans au gré de l’actualité, il faut laisser du temps aux réformes et faire converger les rémunérations, public/privé et EHPAD/domicile, des soignants. Les financements doivent être réformés afin de valoriser les actions visant à préserver le plus longtemps possible l’autonomie des personnes âgées, de limiter les restes à charge, de favoriser l’accès à la citoyenneté et de lutter contre l’isolement.
Magcentre : Chacun d’entre nous risque d’être concerné par la dépendance due au grand âge. Comment envisagez-vous sa prise en charge et le modèle de l’Ehpad de demain ?
Uriopss Centre : La prise en charge de la dépendance doit rester socialisée car c’est l’affaire de tous. La création par la loi du 7 août 2020 d’une cinquième branche de la Sécurité sociale dédiée à l’autonomie est une bonne nouvelle mais elle doit s’accompagner d’engagements publics pour devenir une composante réelle de vie de tous les citoyens. L’EHPAD de demain doit être un véritable lieu de vie médicalisé, accessible financièrement, visant à maintenir le plus longtemps possible l’autonomie et la vie citoyenne des personnes âgées ayant fait le choix de l’institution. La majorité des personnes âgées souhaitent rester à leur domicile. Cependant, toutes ne pourront pas et il nous faut les y préparer. L’EHPAD ne doit pas être un lieu de dépit mais demeurer un choix de vie qui contribue à maintenir la dignité de la personne âgée jusqu’au bout.
Pour cela il nous faut définir un cap et réformer en profondeur tout le secteur !
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UNIOPSS et URIOPSS
L’Union régionale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (URIOPSS) de la Région Centre-Val de Loire est l’une des 23 URIOPSS fédérées au sein de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS).
L’UNIOPSS est une association loi de 1901, reconnue d’utilité publique, qui regroupe 20 000 structures privées à but non lucratif du secteur social, médico-social et sanitaire, dont de nombreux établissements pour personnes âgées en perte d’autonomie.
Elle fut créée en 1947 après la Libération dans la même mouvance que celle de la construction de la Sécurité sociale.