Sous l’égide d’Assises 41 qui promeut le rapprochement interreligieux, une conférence sur le thème « Être français aujourd’hui » s’est tenue à Fossé le 23 mars dernier. Récit national partagé, respect et fraternité sont des points clefs pour ancrer les jeunes Français musulmans dans la communauté nationale.
Par Jean-Luc Vezon
« Comment répondre à la question du “vivre ensemble” qui nous paraît aujourd’hui particulièrement fragilisé et menacé ? » Accueilli par Mgr Jean-Pierre Batut, évêque de Blois, cette soirée très suivie (200 participants) a permis de dépasser les discours simplificateurs et parfois haineux envers les musulmans.
Sur scène, deux invités qualifiés ont longuement développé une pensée empreinte de religiosité et de tolérance. Prêtre du diocèse de Lyon, ancien initiateur de « la Marche des beurs », le Père Christian Delorme veut d’abord promouvoir le dialogue sur cette question faute de quoi « avec la violence, on part dans une direction terrible ».
Cet homme, pour qui « sa rencontre avec le monde musulman est un don de Dieu », a précisé ce qui à ses yeux définit l’identité française). A côté de l’adhésion à l’idéal républicain ou à la culture, il insiste sur le sentiment d’appartenance, ce « désir de vivre ensemble », évoqué par Ernest Renan, qui va au-delà de l’héritage culturel de Bourdieu.
Les mémoires douloureuses de la colonisation
Bercé par le récit national de l’après-guerre d’une France coloniale dans laquelle les Arabes, arrêtés à Poitiers, étaient perçus comme menaçants, le père convient « qu’en 1950, l’identité nationale ne se vivait pas comme aujourd’hui » et qu’elle évolue. Alors comment dépasser ces mémoires douloureuses de la colonisation ou de la guerre d’Algérie ? l’enjeu est bien là. Pour ce chrétien social, la réponse est dans la volonté de créer « une société de frères et de sœurs qui reçoivent la République démocratique et sociale comme quelque chose de fécond pour être ensemble ».
Au-delà de ce propos humaniste et convenu, c’est surtout la dialectique de Jamel El Hamri, docteur en histoire de l’islam contemporain, fondateur de l’Académie française de la pensée islamique qui a présenté un intérêt. Pour ce chercheur, il est clair que « l’identité française s’accompagne de la stigmatisation des musulmans ». Pire, les jeunes Français musulmans se sentent déclassés. Constat sévère. Pourtant, les identités se construisent face à l’altérité et des identités multiples peuvent se conjuguer. « Je suis à la fois du Loir-et-Cher et de Meknès », explique-t-il.
Nouveau récit national inclusif
Engagé auprès des jeunes des cités à Epinay-sur-Seine, Jamel El Hamri milite pour un nouveau récit national inclusif capable de susciter l’émotion d’être français chez les jeunes de confession musulmane. Il y a pour cela un travail de fond à faire : « Regardons notre histoire commune dans les yeux. L’Empire colonial est dans cette salle. » Cette fraternisation n’est pas un vœu pieu, « elle existait dans les tranchées ». Elle existe historiquement au sein de l’armée française, « creuset d’égalité pour les 10 % de soldats musulmans ».
Les questions de la salle ont permis aux deux orateurs de spécifier leurs thèses en recourant parfois à la théologie comme lorsque Jamel El Hamri rappelle que « les figures de Jésus et de Marie sont importantes dans l’islam, qu’elles constituent un pont ».
Pour Christian Delorme, « la religion est une ressource pour le vivre ensemble, un apport pour l’humanité car un croyant a vocation à être toujours plus humain ». Au contact des jeunes Français musulmans, ce dernier est convaincu de leur amour de la France même si notre pays n’a pas su tirer les leçons de la Marche pour l’égalité et contre le racisme (dite « Marche des Beurs » en 1983). « Le plafond de verre des discriminations », comme le dit Jamel El Hamri, reste cependant un sérieux obstacle.
Vers un islam citoyen
Comment contrer les théories islamistes ? « La France est plus menacée par l’individualisme et l’américanisation que par l’islamisation », dira d’abord Jamel El Hamri pour qui « des figures comme celle de l’émir Abdelkader » (1808-1883), respectueux des droits humains et qui sauva la communauté chrétienne de Damas d’un massacre en 1860, peuvent constituer des exemples positifs pour la jeunesse musulmane.
« Amener chaque musulman à être un bon citoyen doit être une finalité pour l’Islam de France. Je suis convaincu que les jeunes musulmans peuvent être des fleurs dans le jardin français », a conclu le conférencier initiateur de l’exposition sur l’histoire de l’islam et des musulmans de France.
Au final, on retiendra de ce rendez-vous interreligieux que les identités traversent la société, et qu’il est urgent pour les communautés de se parler faute de quoi « la lutte des identités », qui a remplacé la lutte des classes triomphera.