Le mythe d’Orphée et son voyage au pays de la mort est bien sûr fascinant. Jeanne Desoubeaux et sa Compagnie Maurice et les autres sont partis de l’opéra de Gluck pour monter Où je vais la nuit. Chanteurs, comédiens, musiciens, les quatre interprètes bien installés dans le monde contemporain nous proposent une transcription de certains moments de l’opéra dans une scénographie qui, elle aussi, est une transposition des moyens classiques. Belle réussite !
Par Bernard Cassat
On arrive dans un joyeux bal, avec un orchestre réduit qui chante, qui swingue, qui chaloupe. Des chansons entrainantes du genre existentiel. Y’a de la joie, mais de la joie posée, consciente, dominée. En fait, c’est un mariage. La chanteuse marie sa sœur et son amie. Tout est prometteur. Mais lorsque la sœur, Eurydice, prend elle même le micro, elle a un malaise.
Et meurt en coulisse. Changement rapide du décor. On est dans Gluck, dans Orphée et Eurydice. L’équipe a adapté la musique, a construit des airs dans l’esprit de Gluck, en a repris tels quels quelques morceaux. Le décor s’anime, comme au premier temps de l’opéra, qui utilisait la magie théâtrale des cintres pour créer des effets impressionnants. Eurydice revient d’abord sur un chariot d’hôpital, son corps sous un drap. Puis disparaît en laissant Orphée seule. Ecrit à l’origine pour une voix de castrat, mezzo ou soprane, il est logique que le couple soit de nos jours homosexuel. Orphée ne chante pas Gluck, mais s’en inspire de très près. Les deux musiciens polyvalents et de surcroit comédiens nous emmènent dans cette musique classique merveilleusement construite, pleine d’énergie, d’agilité, d’harmonie rythmique autant que mélodique.
Eurydice, magnifique voix lyrique
Deux angelots nus et malicieux annoncent avec leurs cordes le marché. Orphée peut entamer son voyage au pays des ténèbres pour retrouver Eurydice. Dont la formidable voix va se plaindre tout au long de ces retrouvailles de l’inhumain diktat des dieux. Entendre et toucher Orphée alors qu’elle détourne son regard d’elle lui est insupportable. Dans les vertigineuses volutes (enregistrées) des violons de Gluck et dans un nuage de fumée sur scène, sa deuxième mort est un formidable moment d’opéra créé par quatre acteurs musiciens époustouflants. Qui joue sur l’apparition-disparition, comme aimaient à le faire les scènes d’antant.
Un spectacle passeur de culture
La réappropriation de ce mythe par Jeanne Desoubeaux et sa troupe retrouve sur scène toute la brillance de l’original. Dans une esthétique actuelle qui fait le lien avec l’original. Les nuages se transformant en fantômes, les anges, les fumées, tout cela vient tout droit des scènes classiques. Et la difficulté du passage vers le monde des morts, les musiciens tirés sur scène avec leur instrument la vivent et la transmettent. Une inventivité qui remporte la mise. Et les qualités musicales de la troupe entière, dont la voix soprane d’Agathe Peyrat et celle plus gouailleuse de Cloe Lastère. Cet Où je vais la nuit est un très beau travail de passage, pas seulement du coté des morts. Toute la troupe va chercher un opéra un peu enterré et le ramène à la vie.
Où je vais la nuit
Compagnie Maurice et les autres
Librement adapté de l’opéra Orphée et Eurydice de Christoph Willibald Gluck
Mise en scène Jeanne Desoubeaux
Interprétation Jérémie Arcache (Nikita), Benjamin d’Anfray (Simon), Cloé Lastère (Odette,Orphée), Agathe Peyrat (Eugénie, Eurydice)
Costumes, scénographie Cécilia Galli assistée de François Gauthier-Lafaye, Claire Fabre
Direction musicale Jérémie Arcache, Benjamin d’Anfray
Collaboration artistique Martial Pauliat
Arrangements Maurice et les autres
Création lumières Thomas Coux
Création sonore Warren Dongué en collaboration avec Jérémie Arcache
Photos Thierry Laporte