MagCentre poursuit ses rencontres avec celles et ceux qui font théâtre. Aujourd’hui, Patrice Douchet, metteur en scène, directeur artistique du Théâtre de la Tête Noire à Saran, évoque ses débuts dans le monde du spectacle vivant, ses différentes missions, le label « Scène conventionnée d’intérêt national Art et création pour les écritures contemporaines » obtenu du Ministère en décembre 2020, et ses projets immédiats ou à plus long terme.
Propos recueillis par Bernard Thinat
(Suite du précédent article)
MagCentre : Tu as des relations étroites avec les structures nationales sur Orléans ?
PD : Nous sommes en lien avec le Centre Dramatique (CDNO) puisque nous avons des programmations communes. La saison prochaine, par exemple, cela nous permettra d’accueillir ensemble au Théâtre de la Tête Noire, Stanislas Nordey, actuel Directeur du Théâtre National de Strasbourg, dans l’adaptation à la scène de « La Question » d’Henri Alleg. Nous travaillons aussi en partenariat avec le Théâtre Gérard-Philipe pour une programmation Jeune Public, avec le pôle culturel de Saran pour le choix de certains spectacles ciblés, nous avons aussi des collaborations avec l’Astrolabe, le Musée des Beaux Arts, la Scène nationale, l’ESAD, sur des projets d’action artistique transversaux. Mon équipe et moi avons toujours préconisé le dialogue, l’écoute et la rencontre. J’ai le sentiment qu’il y a deux « choses » qui me protègent de l’entre soi : mon goût pour la littérature, porte ouverte sur le monde et l’empathie, fenêtre ouverte sur les autres. Dans le métier que je pratique, tout comme dans ma vie de citoyen, je rencontre de la précarité, de l’inquiétude, voire de la souffrance et j’ai une tendance prononcée à essayer humblement et à dans la mesure du possible d’en « éponger » ce qui est à ma portée.
MagCentre : Concernant les écritures, tu reçois beaucoup de textes de la part d’auteurs ou autrices ?
PD : Je reçois de très nombreuses lettres d’auteurs et autrices pour lesquelles le Théâtre de la Tête Noire est un lieu emblématique parce qu’on y accueille quantité d’écritures. Une autrice a déclaré un jour « Il y a deux endroits où il faut être passé,, c’est à la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon et au Théâtre de la Tête Noire si on veut être reconnu comme écrivain de théâtre ». Nous avons un comité de lecture qui se réunit chaque mois et demi, autour de 15 ou 20 textes inédits. Personnellement, je pense que je lis environ 300 pièces de théâtre par an. Je fais partie aussi depuis une quinzaine d’années de la commission Beaumarchais mise en place par la SACD, qui attribue des bourses pour des textes en cours d’écriture. Notre comité de lecture fait partie d’un réseau national de 7 comités de lecture qui édite une revue annuelle, « la Récolte », laquelle paraît chaque été en Avignon.
Je ne crois pas qu’un auteur ou une autrice qui écrirait aujourd’hui un texte génial resterait invisible, un texte dormant dans un tiroir, ça n’existe plus !
MagCentre : Donc, pourrais-tu définir le projet artistique de la Tête Noire ?
PD : Dans tous nos secteurs d’interventions (accompagnement à la création, programmation, festivals, actions artistiques) et que ce soit dans les théâtres, les médiathèques, les écoles maternelles, élémentaires, collèges, lycées, dans les quartiers, à la prison de Saran, nous sommes accompagnés dans nos missions par l’écriture, soit avec les auteurs et autrices présentes, soit avec leurs textes mis à disposition dans des valises de théâtre ou des bibliothèques nomades. Après, les enseignants en font ce qu’ils veulent. Mais ce qui est important, c’est de proposer du sens. C’est la voie que j’ai choisie pour développer un théâtre populaire, en phase avec le monde d’aujourd’hui, avec parfois des contenus pointus, formels, mais jamais hermétiques. Nous avons ainsi conquis un public très large, diversifié, de toutes générations. Là où je suis le plus heureux, c’est lorsque je vois entrer au théâtre quelqu’un de nouveau, plus fier encore que d’accueillir le public qui arrive par habitude d’une pratique culturelle.
MagCentre : Comment tu pourrais définir le Théâtre de la Tête Noire ?
PD : C’est un théâtre très singulier, unique, son ADN est la création. Situé entre le IN et le OFF, entre théâtre institutionnel et turbulences de compagnie, un lieu de programmation exigeante, d’accueil convivial, de soutien aux productions audacieuses.
Une maison pour les auteurs et autrices.
Ce qui nous a permis cela : une chapelle de 200 places très intelligemment rénovée.
MagCentre : Qu’en est-il des projets de création en cours ou à venir ?
PD : Je mettrai en scène au mois de mai prochain « Nuits de juin », une commande faite à Agathe Charnet, autrice émergente, et journaliste brillante qui était associée ici au théâtre toute l’année 2021. C’est un spectacle écrit pour des adolescents et qui sera interprété par 12 jeunes gens. Il leur donne la parole sur leur vie sociale, la question du genre, l’écologie, la politique. Il interroge leurs engagements à 17 ans. Agathe Charnet les a écoutés, a écrit le texte à la Chartreuse et me l’a confié. D’autre part, nous avons cinq artistes ou compagnies associées qui sont soutenues dans leurs créations pour trois ans dont Cécile Arthus qui présentera « The Lulu Project » de Magali Mougel en mars à la Tête Noire. Pour ce qui concerne ma compagnie, j’ai créé « Pingouin (discours amoureux) » de Sarah Carré qui est en tournée actuellement en France. J’ai récemment écrit et mis en scène « l’Invention du printemps », un spectacle sur la transition écologique également en tournée.
Ensuite, j’ai d’autres projets sur les années 2023 et 2024. Je viens tout juste d’obtenir les droits sur le roman incandescent d’Hélène Laurain « Partout le feu », paru chez Verdier en janvier 2022. Je m’oriente vers un diptyque entre 2023 et 2024 avec « Partout le feu » et « Zone à étendre » de Mariette Navarro aux Éditions Quartett.
MagCentre : Tu as eu aussi par le passé une activité internationale, je crois ?
PD : C’est toujours en cours. J’ai longtemps travaillé à Riga. J’y ai présenté plusieurs spectacles dont « Hiroshima mon amour » de Duras. J’ai aussi mis en scène les jeunes acteurs et actrices de l’Académie de la culture au Théâtre national de Riga. Cette année, l’Institut culturel français de Riga me propose de réactiver notre collaboration. Aussi, je pars à Riga en mars afin de mettre en place un nouveau programme dans le cadre de la semaine de la francophonie. Au fond je suis nomade, j’aime bien aller travailler en immersion ailleurs, même si mon port d’attache est à Saran. J’ai travaillé aussi pendant des années au Portugal, et c’est toujours en devenir puisque je dois mettre en scène en 2023, un texte jeunesse à Lisbonne. Chaque automne, je dirige un stage pour des comédiens et comédiennes professionnelles sur l’île de Ouessant, et ceci depuis 6 ans. J’y ai découvert de nombreux artistes avec qui je travaille parfois ensuite. C’est un stage qui s’appelle « l’acteur et l’actrice dans le paysage ».
MagCentre : Merci beaucoup d’avoir consacré un peu de ton temps pour les lecteurs de MagCentre.
Quand on me demande d’où vient le nom, « Théâtre de la Tête Noire », je réponds toujours de la même façon : « J’ai tellement menti que je ne sais plus où est la vérité ». Il y a à l’origine de ce nom une convergence entre le factuel, l’inconscient et le ludique. Ce nom fait désormais parti du paysage puisqu’il figure sur les cartes GPS, plan de ville et d’agglomération et c’est cela l’important : ce chemin qui conduit de l’histoire intime, la mienne, au domaine public.
Patrice Douchet
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