Tout pianiste débutant a fait ses gammes, et souvent a fait souffrir l’auditoire, en récitant la Lettre à Élise, naguère tournée en dérision par la grande Anne Sylvestre.
Le Président sortant adresse enfin sa supplique à Élysée, entendez aux Français. Prouesse liée à la bonne éducation reçue dans les écoles des élites de la République, il conjugue une entrée en campagne pianissimo et un retour à Balzac pour publier ses Scènes de la vie de province, sans doute histoire de faire oublier quelques Illusions perdues. Qui a prétendu que nos présidents n’avaient plus de lettres ?
Par Pierre Allorant
PTT. Poste restante ou petit bleu
Comme François Mitterrand à la veille de sa réélection en 1988, Emmanuel Macron a pris la plume pour son annonce faite aux Français, missive publiée dans la presse régionale, à l’instar de Jacques Chirac en 1995. Bref, après avoir été le plus jeune président élu depuis Louis-Napoléon Bonaparte le 10 décembre 1848 – on disait aux PTT un « petit bleu » pour ce type de télégramme en express – Macron met tout en œuvre pour être le premier sortant réélu à l’issue d’un quinquennat, après la défaite de Sarkozy en 2012 et le renoncement de Hollande en 2017.
À la lettre. Union sacrée et lettres du front de l’Arrière
À l’heure des tweets et des coups de fil interminables à l’impitoyable Poutine – on ose espérer que le bourreau de Moscou n’appelle pas en PCV (Pathétique Caudillo Vieillissant), même si l’on a la certitude qu’il nous fera payer cher l’appel aux armes – le vecteur épistolaire ne manque pas d’avantages. Il distingue le Président chef de guerre de la masse des onze autres candidats et lui permet de prendre de la hauteur, plus près de la mémoire de Paul Ricœur que des terroirs de Jean-Pierre Pernaut ; d’associer l’intime de la lettre cachetée, qui ne s’adresse qu’à vous, à la publicité d’une presse de proximité influente. Précisément, cette relation avec les territoires qu’il a trop négligée dans l’enthousiasme juvénile de ses débuts, avant le casque noir de Benalla et les gilets jaunes de ronds-points nommés désir de reconnaissance des sans-grade de la société.
Enveloppe affranchie. Le timbre vert de la lente désespérance
A cette heure décisive et tragique, que se passe-t-il au rayon vert ? La lettre de licenciement de Sandrine Rousseau témoigne qu’à l’heure des alertes sans cesse plus dramatiques du GIEC et quand la plus grande centrale nucléaire d’Europe brûle en Ukraine, on peut toujours compter sur les Verts pour regarder ailleurs, se déchirer et refroidir l’intérêt des électeurs. Après le tour de piste inutile, verbeux et diviseur de Christiane Taubira, voici venu le temps de la sortie de piste d’une campagne « déconstruite » depuis son état-major.
Si Jadot « tombe par terre », ce sera en partie « la faute à Rousseau ». Comme chez Angot, c’était bien Un amour impossible. Quand la France aura-t-elle enfin droit à des écologistes prêts à peser sur les décisions gouvernementales au sein d’une coalition à l’allemande ? Réponse peut-être aux législatives de juin. Pour l’heure, le paradoxe consiste à voir un Président qui a trop peu agi contre le dérèglement climatique se saisir du drapeau de la transition énergétique, sur fond de crise mondiale des hydrocarbures et de réhabilitation, faute de mieux, de l’électricité nucléaire.
Le changement de méthode dans la continuité des politiques. France unie et désir d’avenir de travailler plus
On connaissait le talent de l’ancien rapporteur général adjoint de la commission « pour la libération de la croissance française » dite Attali, fils naturel du couple morganatique Juppé-Rocard, pour conjuguer à tous les verbes les impératifs et les infinitifs de la vulgate des élites modernisatrices françaises, du « cercle de la raison » qui unit dans son lit deuxième gauche et première droite libérale. Les axes forts de sa lettre confirment cette capacité unique à synthétiser les slogans de ses prédécesseurs. Tout y est, ou presque : le « nous » de la France unie du François Mitterrand rassembleur de 1988, horizon indépassable des 34 % dès le premier tour, la lutte contre la « Fracture sociale » version Chirac 1995, grâce à une école et à des enseignants mieux considérés – Adieu M. Blanquer ! –, « Travailler plus pour gagner plus » (et financer retraites et dépendance) de Sarkozy en 2007, et même le « désir d’avenir » pour nos enfants et petits-enfants de Ségolène Royal la même année.
Cet appui sur l’épaule des locataires du palais présidentiel, et même des autres candidats à la magistrature suprême, du dernier tiers de siècle permet à Emmanuel Macron de renvoyer à la nostalgie stérile les « candidats du passé » comme disait VGE de Mitterrand en 1974, tout en empruntant le ton mobilisateur du général de Gaulle dans son discours du 14 juin 1960, écartant l’attachement aux charmes du passé de la marine à voile et de l’Algérie française : « Il est tout à fait naturel qu’on ressente la nostalgie de ce qui était l’Empire, tout comme on peut regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages. Mais quoi ?! Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités. »
De « la France à mon enfance » à « Générations Macron » ? République d’abord
Macron le pragmatique ne nous écrit pas autre chose, renvoyant les mauvais apôtres du déclinisme à leurs regrets impuissants du « c’était mieux avant », voire au vain refrain de « La France de mon enfance » d’Enrico Macias. Féru de La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, Président cultivant particulièrement une politique mémorielle à travers les entrées au Panthéon et le regard sur le passé algérien qui ne passe pas, Macron peut revendiquer à nouveau la tunique du progressisme pour mieux renvoyer à leurs démons les obsessionnels de l’immigration et les intoxiqués chroniques de la détestation des musulmans de France, pour nous inviter à la préparation de la société de nos « enfants et petits-enfants ».
Manière habile de parler de la jeunesse qui vote peu en s’adressant à l’électorat âgé qui vote beaucoup et qui s’inquiète du sort et des possibilités de progression des générations qui suivront. Une façon aussi, à l’heure où la démocratie vacille sous les coups de boutoir des blindés russes, de dire certes « Vive la France » des droits de l’homme qui retrouve enfin le sens de l’accueil des réfugiés et la fraternité des peuples, et surtout, surtout, « Vive la République ! » et sa devise qui donnent sens à un attachement patriotique à rebours au chauvinisme rabougri et aigri du repli sur soi.
Histoire pour lui d’entrer à l’Académie des Belles-Lettres et inscriptions, sur la liste réduite des présidents réélus, et cette fois sans ressourcement par une cohabitation, mais par réinvention de crise en crise. Après tout, Révolution, le titre de son ouvrage programme de 2017, ne signifie-t-il pas « rotation complète d’un corps mobile autour de son axe » ? Singulièrement mobile, insaisissable et résilient, le désormais candidat a encore à définir et préciser son axe de rotation.
La République, si elle a besoin d’histoire, a surtout besoin d’un cap. De préférence, de bonne espérance.
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