« Le jongleur ne doit pas se contenter de montrer ce qu’il sait faire, il doit montrer ce qu’il est ! »

La Scène nationale d’Orléans a accueilli le jongleur Martin Palisse les 15, 16 et 17 février derniers. Time to tell est un spectacle singulier et émouvant, mis en scène avec la collaboration de David Gauchard, où l’artiste prend la parole pour raconter sa maladie. Une gracieuse rencontre entre le jonglage et le théâtre.

Le jongleur Martin Palisse, dans une création hybride, se livre sur sa mucoviscidose dans “Time to Tell”. Photo Christophe Raynaud de Lage

Martin Palisse est jongleur et auteur. Il s’associe dans les années deux mille à Elsa Guérin pour créer la compagnie Cirque Bang Bang. Ensemble, ils rompent les codes et donnent au jonglage une dimension chorégraphique et théâtrale. Depuis 2014, Martin est directeur du Sirque, Pôle national Cirque de Nexon en Nouvelle-Aquitaine. Si depuis son adolescence le jonglage a pris toute la place dans sa vie, la mucoviscidose, elle, le suit depuis sa naissance. Mais plus qu’un frein, elle est devenue une force et il se livre à son public sans tabou aujourd’hui, avec Time to tell (Il est temps de raconter, en français) : ses allers et retours entre le domicile et l’hôpital, ses échecs scolaires, ses difficultés familiales, le prix de son traitement… il se met à nu mais ne livre pas tout et « garde un jardin secret ». Pour Magcentre, il se dévoile un peu plus.

Propos recueillis par Elodie Cerqueira

Time to tell est une pièce que vous avez pensée à l’automne 2019. Pourquoi avoir attendu vos 40 ans pour partager votre histoire avec votre public ?

Martin Palisse : Depuis mes 20 ans, je savais que j’en parlerai sur scène. Il me fallait atteindre une certaine maturité, attendre le bon moment. Tout artiste qui crée, travaille avec ce qu’il est, pour que quelque chose transpire, pour être surprenant. Il faut qu’il y ait une véritable offrande.

Et ce que vous nous offrez, c’est votre histoire. Est-ce une confession ?

M.P. : Non ce n’est pas une confession, c’est le temps d’une affirmation. Mon entourage a toujours su que j’étais malade mais je veux désormais le partager avec le public. Ce que je déteste le plus, outre l’injustice, c’est la condescendance. Je ne veux surtout pas susciter de pitié, je veux simplement partager mon vécu. Le jongleur ne doit pas se contenter de montrer ce qu’il sait faire, il doit montrer ce qu’il est. Dire sa vérité à voix haute c’est l’assimiler, la dépasser. Mais plus que la maladie, c’est le jonglage qui fait ma vie.

Ce spectacle a été possible grâce à David Gauchard, avec qui vous l’avez mis en scène…

M.P. : David, c’est une super rencontre. Quand je lui ai parlé de mon projet c’était fluide, pourtant je n’avais jamais pris la parole sur scène. J’adore le théâtre et nous avons fait un super travail ensemble, il y a une véritable osmose entre nous et je souhaite poursuivre ce travail avec lui.

Songez-vous déjà à un nouveau spectacle ?

M.P. : Pour l’instant nous sommes en tournée avec Time to tell. L’agenda 2022 est plein et nous avons déjà des dates en 2023 mais nous commençons à y réfléchir. Je continuerai à me raconter, peut-être sous forme de dialogue, avec un(e) autre artiste pour me donner la réplique. Toujours avec cette dimension introspective de sorte d’aborder, entre autres, mes relations intrafamiliales et de rendre le sujet universel.

David Gauchard et Martin Palisse ont mis en scène le nouveau spectacle “Time to tell” accueilli à la Scène nationale d’Orléans du 15 au 17 février 2022. Photo Christophe Raynaud de Lage

Vous faites allusion à votre rupture avec vos parents lorsque vous avez décidé de quitter définitivement le lycée ?

M.P. : Oui, c’était une période difficile. Dire qu’on quitte l’école pour jongler n’est pas facile à entendre. Nous étions dans les non-dits. Ils supportaient mal mon manque de discipline. Depuis le dialogue est rétabli même si tout n’est pas vraiment réglé.

Vous dites ne pas avoir un bon souvenir de votre scolarité. Pourquoi ?

M.P. : J’ai rarement eu des instit’ qui comprenaient la maladie. Il ne faut pas croire que les gens sont toujours gentils. Et le système est injuste. J’avais souvent besoin de sortir de classe, à cause de mon état de santé, mais les profs n’étaient pas très compréhensifs et ne me laissaient pas sortir. J’adoptais donc un comportement détestable pour me faire virer. Jusqu’à me faire renvoyer des établissements. En échec scolaire, malgré des compétences, notamment en maths, j’ai arrêté les cours.

Et vous jonglez donc depuis vos 17 ans…

M.P. : J’ai beaucoup pratiqué de sports mais il me manquait quelque chose d’intellectuel. Avec le jonglage, le corps et la pensée sont investis. J’ai commencé à me débrouiller par moi-même. Ma grande chance est ma rencontre avec Jérôme Thomas, un des cinq plus grands jongleurs du XXe siècle. Nous avons eu un fort rapport de maître à élève, avec l’amour de la transmission du savoir.

Vous dites ne pas ressentir de colère, ni de sentiment d’injustice. Pourtant vous êtes empêché dans votre pratique par la mucoviscidose ?

M.P. : Je fonctionne avec mon intuition. J’ai appris à m’écouter et je connais très bien mon corps. La douleur physique nous apprend beaucoup. J’ai énormément souffert jusqu’à l’adolescence, moins maintenant, grâce aux traitements. Tous les artistes cherchent des contraintes pour avancer, cette maladie m’impose des contraintes et influence ma façon de jongler. Et je suis fier de ce qu’elle a donné, un spectacle unique par la singularité de ma pratique. Et c’est une forme de spectacle qui parle à la jeune génération.

Et toute génération confondue, vous partagez votre intimité avec le public jusqu’à avouer votre phobie des aiguilles. Pouvez-vous nous expliquer ?

M.P. : Un spécialiste m’a expliqué que bébé, j’étais piqué sans anesthésie, sans prise en compte de la douleur. On pensait à l’époque que les nourrissons ne souffraient pas ! Un traumatisme ancré que je tente de dépasser en contrôlant ma peur, mon corps. J’apprends à ne pas crisper mes muscles quand on me pique. Je me soigne avec les tatouages qui n’ont pas toujours de signification particulière mais qui m’obligent à affronter ma phobie…

Vous dites être né avec une obsolescence programmée. Pensez-vous à la mort ?

M.P. : Je ne me pose jamais la question de la mort. Les gens qui focalisent sur la mort sont les gens qui ne prennent pas le temps de bien vivre. J’aimerais pouvoir choisir ma mort. Une des prochaines évolutions politique et sociale sera de décider comment disparaitre. Je ne veux pas finir assisté et dépendant à cause de mes douleurs.

Et si vous ne pouviez plus jongler ?

M.P. : Je ne me vois pas faire autre chose, c’est le travail d’une vie. Mais si dois arrêter de jongler alors j’achèterai un hôtel en Grèce, pour y accueillir mes proches et toute sorte de gens !

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