Media crash – qui a tué le débat public? est une enquête en profondeur sur le pouvoir des groupes qui possèdent la presse. Avec des investigations très poussées, les auteurs de ce docu, Luc Hermann et Valentine Oberti, démontent des affaires où la presse a été fortement talonnée par les patrons pour avoir soulevé des affaires plus que sensibles. Luc Hermann présentera son film mardi soir aux Carmes.
Par Bernard Cassat
Maureen Grisot, correspondante en 2014 du Monde en Afrique. Capture écran
Vincent Bolloré est le premier incriminé. A la tête de sa multinationale, il travaille dans le transport, la logistique, l’énergie, le papier, les médias et les télécoms. Pour la partie médias, rappelons qu’il a lancé en 2007 Direct Matin, devenu Cnews en 2017, un quotidien gratuit distribué dans les grandes agglomérations. Après une montée dans le groupe Canal +, Vincent Bolloré détient en 2017 la majorité à l’AG et 29% des droits de vote. Il possède par ailleurs Havas, Editis (Plon, Presses de la Cité, Laffont, Nathan, Bordas pour les plus connus), Prisma Media (Femme actuelle, Gala, Voici, Géo, Télé-loisirs), et a des participations dans d’autres groupes, notamment Lagardère.
C’est donc un géant de la communication, et par contrecoup, de l’information. Il ne cache pas ses positions politiques très, très à droite. Et dès qu’un média s’intéresse à ses activités, Bolloré tente de le contrôler. Media Crash en décortique quelques exemples. Celui de Maureen Grisot, qui enquêtait pour Le Monde en Afrique. Elle a notamment soulevé l’affaire du terminal du port d’Abidjan en septembre 2014. Bolloré avait obtenu la première tranche. Un appel d’offre avait été lancé pour la deuxième tranche, qui devait être concurrentielle. Bolloré l’a quand même obtenue. Avec en plus un problème de boucle ferroviaire en Côte d’Ivoire. Maureen Grisot a soulevé tout cela dans une enquête très précise. Le rédacteur en chef chargé de l’Afrique lui a dit ensuite que son papier avait coûté 16 millions au Monde. En effet, en guise de sanction, Bolloré, par l’intermédiaire de Havas, n’a plus passé de publicité, en tous cas beaucoup moins. De plus, une série est parue l’été suivant, six papiers intitulés La conquête de l’Ouest de Vincent Bolloré, vantant ses réalisations. La coïncidence est troublante et le ton laudatif inhabituel pour Le Monde.
Bernard Arnault, deuxième cible du documentaire
Le documentaire soulève aussi des affaires autour de Bernard Arnault. Patron du groupe de luxe LVMH, il est lui aussi propriétaire d’un certain nombre d’organes de presse et d’information (Le Parisien, La Tribune, Les Echos, Investir Magazine, Connaissance des Arts entre autres, et la radio Radio classique). On se souvient de l’affaire François Ruffin et de son film Merci Patron, décortiqué aussi dans le documentaire. Bernard Arnault avait fait intervenir Bernard Squarcini, consultant indépendant du groupe, pour casser l’attaque de Fakir, le journal de François Ruffin. Une affaire où les moyens mis en œuvre touchent au ridicule. Qui se résoudra par une amende de 10 millions et on en parle plus…
Bolloré a demandé à Zemmour d’intervenir tous les jours sur sa chaine CNews
Une affaire trouble est aussi abordée, celle concernant le journaliste de Complément d’Enquête de France2 Tristan Waleckx. Son portrait de Bernard Arnault, qui rentrait dans une série de portrait de grands patrons, a fait peur à Arnault. Il a tenté de menacer le journaliste, mais les preuves qu’il disait détenir étaient fausses. Ses interventions ont tout de même gêné et inquiété.
Il y a donc ce que l’on voit, nous, le public, ce que les journalistes arrivent à exposer. Et ce qu’on ne voit pas, toutes ces relations complexes entre journalistes et structures de communication qui ont besoin d’argent pour fonctionner, donc de patrons. On est loin du temps ou les patrons de presse étaient journalistes. Ils sont maintenant en plein dans le système capitaliste d’actionnaires qui exigent leurs parts. Actionnaires eux-même, et combien !, ces patrons sont prêts à beaucoup pour augmenter les dividendes. Et la diversité de leurs activités constitue un redoutable moyen de pression. Toujours par l’argent, bien sûr. Donc difficile à saisir, à en comprendre précisément les mécanismes. Media Crash nous apporte quelques réponses.
Media crash – Qui a tué le débat public?
Une coproduction Mediapart et Premières Lignes
Co-réalisé par Luc Hermann et Valentine Oberti
Avant première mardi 19h30 en présence de Luc Hermann
Cinema Les Carmes Orléans