Voici la chaotique et dispendieuse histoire du DMP. De son premier nom : le Dossier Médical Personnel puis devenu Partagé, il aurait pu s’appeler le Dossier Mal Parti. Mais, tel un phénix, il renaît, baptisé « Mon espace santé ».
Par Jean-Paul Briand
L’idée de lancer un dossier patient informatisé serait venue au Docteur Philippe Douste-Blazy lors de sa visite d’une clinique de Toulouse où il fut maire de 2001 à 2004. La loi Douste-Blazy du 13 août 2004 concrétisait son rêve.
C’est la Covid qui a donné « un coup de frein » au projet DMP
Malgré des objectifs vagues et brouillés, la mise en place irréaliste du Dossier Médical Personnel (DMP) était prévue pour 2007. De multiples rapports d’experts ayant révélé l’incompétence du maître d’ouvrage et l’absence d’adhésion de la part des patients comme des professionnels de santé, le DMP1 est stoppé. Il est relancé deux ans plus tard, en 2009, avec une nouvelle gouvernance. Compte tenu de son coût, il est à nouveau arrêté en 2012 après que la Cour des Comptes ait conclu dans son rapport : « Au total, le développement et la mise en place de dossiers médicaux personnels, sous différentes formes a vraisemblablement coûté plus d’un demi-milliard d’euros à fin 2011, essentiellement à la charge de l’assurance maladie ». Mais le DMP a la vie dure. Rebaptisé Dossier Médical Partagé, il redémarre en 2014. La cible initiale était fixée à 40 millions de dossiers ouverts en cinq ans. Avec moins de 10 millions de dossiers créés, souvent vides et peu utilisés, c’est un nouveau fiasco. Aussi, depuis juillet 2021 il n’est plus possible d’ouvrir un DMP. C’est la Covid qui a donné « un coup de frein » au projet DMP, s’excuse sans rire l’assurance maladie. Pour pallier ce nouvel échec, le gouvernement a donc mis en place « Mon Espace Santé » (MES).
La sécurité de la confidentialité des données sanitaires semblaient secondaires
Les technocrates pilotes du projet DMP n’avaient pas compris que les médecins n’accepteraient de développer un dossier informatique national qu’à la condition d’en tirer un bénéfice dans l’exercice de leur profession. Pour l’utiliser, les usagers devaient être également convaincus que le DMP permettait d’améliorer leur santé en assurant une meilleure coordination entre les différents intervenants sanitaires. Les patients voulaient par ailleurs un « droit au masquage » des données et ainsi contrôler l’utilisation et l’alimentation de leur dossier médical afin de protéger certaines informations intimes. Après une longue bagarre, le ministre de la Santé d’alors, l’ancien assureur Xavier Bertrand, accorde ce droit tout en autorisant un droit à « forcer le masquage » en cas d’urgence.
La confiance, la fiabilité du système et la valeur ajoutée pour tous les utilisateurs sont essentielles pour qu’ils acceptent de s’approprier un tel outil. Avec le numérique, la question de la réglementation et de l’éthique autour des renseignements personnels de santé nécessitent une réflexion approfondie. Pour les concepteurs du projet, la sécurité de la confidentialité des données sanitaires, sujets pourtant particulièrement sensibles, leur semblaient secondaires.
C’est la méthode « opt-out » qui est utilisée
A quoi doit servir « Mon espace santé » ? Ce DMP newlook présente apparemment des avantages multiples pour l’ensemble des acteurs de la santé. Il simplifie, optimise et accélère la gestion de la santé et les parcours de soins. Il stocke tous les documents et informations utiles pour le suivi médical avec les maladies en cours, les antécédents, les allergies, les anciennes ordonnances. Il devrait éviter les actes inutiles et redondants. Par la suite il doit être complété par tout un catalogue d’applications et en particulier par un agenda pour la prise de rendez-vous. Les laudateurs de « Mon espace santé » expliquent qu’il va « favoriser la continuité des soins pour mieux soigner en ville comme à l’hôpital, grâce au partage sécurisé des informations dans le respect des droits du patient ». Mise à part la messagerie sécurisée, il n’y a donc rien de très novateur par rapport à son ancêtre, le DMP. Pourtant il y existe une différence de taille. C’est la méthode « opt-out » qui est utilisée. Cette formule cache un système où le principe du consentement libre et éclairé du patient est mis à mal. Chaque assuré aura un dossier MES automatiquement activé. S’il n’a pas dit « non », c’est qu’il consent et qu’il a dit « oui ». Dans les nombreuses pages des mentions légales il est indiqué comment refuser son MES : « Si l’Usager ne souhaite pas que « Mon espace santé » soit créé pour lui ou son enfant mineur, ou le majeur qu’il représente, il peut exercer son droit d’opposition durant un délai de six semaines à compter de l’envoi du courriel ou du courrier d’invitation ».
L’administration américaine pourrait accéder aux données médicales des Français
L’essentiel n’est pas là. Ce dossier santé numérique, si les Français l’acceptent, doit permettre de constituer une base de données la plus grande et la plus complète possible. MES doit aider à la réalisation d’études descriptives, sur la santé de la population française. Il peut être un outil de recherche épidémiologique sans égal pour connaître l’état de santé de la population d’un territoire, détecter des maladies et des interactions. Pour cela les données de « Mon espace santé » alimenteront le Health Data Hub où il existe une inquiétude de taille. Toutes les informations médicales transférées vers la plateforme Health data hub sont hébergées par l’entreprise Microsoft. En dehors des failles dans le système d’exploitation Microsoft, la loi « Cloud Act », permet à l’administration américaine d’accéder à toutes les données situées en dehors des États-Unis et hébergées par Microsoft. L’administration américaine pourrait donc, en principe, accéder aux données médicales des Français. Même le lanceur d’alerte, Edward Snowden, s’en est inquiété dans un tweet.