On «fabricole» encore et toujours à la Fabrique de Meung sur Loire

Voilà cinq années que le Krizo Théâtre anime les Fabricoles dans la ville de Jehan de Meung et de Gaston Couté, trois jours pendant lesquels théâtre, musique, danse et clown, se succèdent pour le bonheur des petits et des grands qui remplissent joyeusement la salle de la Fabrique dédiée au spectacle vivant, ainsi qu’au cinéma.

Par Bernard Thinat

Si on est loin des 18 spectacles qui inaugurèrent ce Festival en 2018 à l’occasion du 15ème anniversaire de la Compagnie, la programmation 2022 en proposait 7 d’excellente qualité, qui permirent de remplir très correctement la salle mise à disposition gratuitement par la municipalité, pour un équilibre budgétaire au final, malgré une pandémie toujours présente. Festival proposé pour tous publics pendant les vacances de février, afin de profiter d’un moment où selon le Directeur artistique, tout le monde est un peu plus détendu, ce qui donne à l’ensemble un petit côté avignonnesque, la chaleur en moins, ajoute-t-il malicieusement.

Christophe Thébault était à la recherche de quelque chose qui parlât de la seconde guerre mondiale, lorsqu’il découvrit le texte d’Anne-Marie Storme, « A bout de silence », lequel évoque la vie de la mère de l’autrice, histoire familiale donc basée sur la transmission entre générations. Texte écrit pour un monologue de théâtre. Après en avoir acquis gracieusement les droits, Christophe Thébault s’est donc attelé à la tâche qui consiste à l’adapter sur scène. C’est sa partenaire, Caroline Bissauge avec laquelle il travaille depuis dix ans, qui prit le rôle.

Le roman

L’histoire de la mère de l’autrice, c’est celle d’une femme née en Allemagne en 1937, qui connut donc les bombardements étant enfant, la mort d’une petite sœur, l’exil vers une région plus calme, l’école, le lycée où elle était bonne élève, un père qui s’occupait d’elle contrairement à cette autre sœur peut-être handicapée mentale et rejetée par la famille, une éducation fort rigide, puis les études universitaires en histoire. Et c’est là qu’elle découvre « l’innommable » comme elle le définit, l’abomination dont ses parents ne lui ont jamais parlé, ni l’école. Un secret gardé par un Etat qui refusait de regarder le passé, préférant l’effacer des mémoires. Sauf que cela est impossible !

La suite, c’est un mariage avec un français, sans doute pour rompre avec l’image de « l’innommable », le départ pour la France, trois enfants qu’elle éduque comme elle a été éduquée et qui s’éloigneront d’elle plus tard, la mort du mari, la vieillesse avec ce retour à Berlin, la ville maudite sous le Reich, l’idée d’y mourir…

Photo B. Thinat

La pièce

Au centre du plateau, une armoire ancienne de laquelle émerge Caroline Bissauge. A gauche, un vieux poste de radio, une grande malle, et à droite un bureau et une chaise. Un tapis au centre. Comme on le sait, la marque de fabrique du Krizo théâtre, c’est de jouer avec masques. L’actrice, dans sa jeunesse, arbore un joli masque, des fleurs autour de la tête comme les petites allemandes à l’époque, l’intonation enfantine, insouciante malgré la guerre. La bascule intervient lors de la découverte de l’innommable », l’armoire telle l’histoire de son pays qu’on lui cache, s’ouvre en grand, découvrant la croix gammée géante, l’allusion aux Lebensborn, usines à bébés du Reich. C’est aussi un nouveau masque, celui d’une très vieille femme, masque hideux comme le fut le nazisme. L’élocution est devenue adulte.

C’est une Caroline Bissauge fort émouvante dans ce rôle certes difficile, mais certainement ô combien impressionnant dans la mesure où cette création du Krizo se faisait en ouverture du Festival, avec la présence dans la salle de l’autrice, Anne-Marie Storme, bouleversée, me dira Christophe Thébault, qu’une autre Compagnie ait envie de créer cette adaptation théâtrale.

Cette pièce aux deux visages (les masques ont été commandés spécialement à un facteur du nord de la France), fait immanquablement penser au film de Helma Sanders-Brahms sorti en 1981, « Allemagne mère blafarde », dans lequel une femme après la défaite allemande est atteinte de paralysie faciale, son visage se flétrissant peu à peu, allégorie de ce pays qui refuse de voir la réalité en tentant d’enfouir la période nazie. Là aussi, la réalisatrice a construit son film sur les souvenirs qu’elle conservait de sa mère.

Photo B. Thinat

Pour celles et ceux qui suivent le Krizo Théâtre, et ses tournées internationales marquées par des prix décernés lors de Festivals au Chili et en Iran, Christophe Thébault a bien voulu livrer à MagCentre, une info concernant le futur de la Compagnie, à savoir le travail sur le mythe d’Arachné, commande de circassiennes, comme pour revenir à la mythologie, thème cher au Directeur artistique dont on se souvient des créations sur Thésée ou Antigone.

On pourra voir ou revoir « A bout de silence » à Baule sous le chapiteau le 30 avril, et sans doute ailleurs. Spectacle qui devrait intéresser les collèges et lycées, ainsi que des associations concernées par le sujet.

https://krizotheatre.wixsite.com/krizo

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