Serge Grouard, maire d’Orléans et instigateur de l’accord Zagreb-Orléans afin de former en Croatie de nouveaux médecins, déclarait, faussement naïf, qu’il n’était pas possible de s’opposer à son projet compte tenu de la gravité de la situation de la démographie médicale locale. En bon politique, il savait que les ripostes et les oppositions à cette formation singulière et hors frontière n’allaient pas se faire attendre.
Par Jean-Paul Briand
Les attaques contre l’initiative orléano-croate se renforcent d’heure en heure
Une fois n’est pas coutume. Les présidents des universités de Tours et d’Orléans, sans doute vexés de ne pas avoir été associés à la démarche engagée par la municipalité orléanaise, ont réagi par un communiqué commun. La faculté croate n’ayant pas l’intention de proposer gratuitement ses services aux petits Français, les deux universitaires, dans une longue diatribe, condamnent un modèle économique « qui va entraîner une fracture sociale que toutes les réformes récentes tentent de réduire », avec une sélection qui « ne se fera donc plus au mérite mais bien en fonction des capacités financières des familles ». Les dirigeants des deux universités mettent en doute la compétence des encadrant(e)s. Ils accusent l’enseignement proposé au sein de la capitale croate d’être « une formation au rabais accessible à un public financièrement favorisé » avec l’abandon de disciplines essentielles comme l’immunologie. Les responsables universitaires doutent que le problème de la désertification médicale en zones sous-denses de la région Centre-Val de Loire soit résolu par cette initiative inégalitaire et qui « risque par ailleurs d’affaiblir nos établissements et nos centres hospitaliers » ajoutent-ils.
Les deux présidents donnent une inaccoutumée leçon de solidarité
Pour finir, les deux présidents donnent une inaccoutumée leçon de solidarité et déclarent en choeur que « c’est en travaillant ensemble (universités, centres hospitaliers, collectivités territoriales) que nous trouverons les réponses les plus adaptées à la difficile question des déserts médicaux en région Centre-Val de Loire ». Ce bel et renversant appel consensuel des deux universités concurrentes de la région Centre-Val de Loire, que Serge Grouard a eu le mérite de provoquer, va sans aucun doute rassurer tous les habitants qui cherchent désespérément, depuis des années, et ça va encore empirer, un médecin traitant…
France Universités défend son pré carré
L’association France Universités, qui rassemble les dirigeants des universités et des établissements d’enseignement supérieur et de recherche défend son pré carré en rappelant que les seul moyens « d’assurer la qualité des formations mais aussi la réussite des étudiants » sont Erasmus et les coopérations entre les universités et les établissements d’enseignement supérieur des pays européens. France Universités « dénonce la construction intempestive, par le maire d’Orléans, d’un objet pseudo-universitaire non identifié, soutenu par une collectivité hors de son champ de compétence » que l’association considère comme un « Far West universitaire ».
Un communiqué plus nuancé de Stéphanie Rist
La députée de la 1ʳᵉ circonscription du Loiret et conseillère municipale d’Orléans, n’est pas en reste. Dans un communiqué plus nuancé, Stéphanie Rist remarque subtilement qu’« il n’aura échappé à personne que nous sommes à quelques semaines d’échéances électorales… ».
La députée et rhumatologue de l’hôpital d’Orléans (CHRO) considère que le dossier sur la démographie médicale « mérite du sérieux, du rassemblement et du travail » et que « nous ne pouvons nous permettre, dans ce domaine tout particulièrement, de vaines promesses, des effets d’annonce ».
Le bon docteur Tafani, président de l’Ordre des médecins du Loiret, est bien embêté pour prendre une position tranchée et botte en touche pour l’instant. Il attend probablement que le doyen de la faculté de médecine de Tours, le Professeur Patrice Diot, entre en jeu.
C’est une escroquerie comportant des risques pour l’avenir de l’étudiant
Le nouveau protocole d’étude médicale entre Orléans et Zagreb est en fait une resucée d’un ancien projet. Déjà en 2016, un cursus baptisé MOZ (Médecine Orléans Zagreb) se proposait, au prix fort, de préparer des étudiants français afin d’intégrer la faculté de médecine de Zagreb, contournant ainsi le couperet du numérus clausus. L’initiateur de l’association MOZ, était Hechmi Toumi, ancien directeur de l’UFR Science sur le campus d’Orléans. Le président de la Conférence des doyens de médecine, le Pr Jean-Luc Dubois-Randé, avait alors déclaré que « la Conférence est totalement opposée à ce genre de pratiques. C’est une escroquerie comportant des risques pour l’avenir de l’étudiant, un abus de confiance des jeunes et de leur famille ». Quelle sera l’attitude officielle de son successeur, le professeur tourangeau Patrice Diot, qui déplorait il y a peu de temps : « On n’est pas loin dans les facs de médecine française, d’être au maximum de nos capacités de formation » ?
La désertification médicale a encore de beaux jours
Le maire d’Orléans, qui a préparé son coup médiatique en secret avec pour complice son premier adjoint (à moins que ce soit l’inverse), va-t-il ainsi contraindre les décideurs politiques et universitaires à s’entendre afin enfin de créer rapidement un deuxième site de formation à Orléans en ajoutant un U au sigle du CHRO ? Malgré la lettre au Premier ministre commune, on peut malheureusement en douter. L’incertaine et contestable mise en place de la filière croate, déjà bien compromise, ne comblera pas la pénurie de médecins en Centre-Val de Loire où la désertification médicale a encore de beaux jours devant elle …