Après son étonnant et très réussi La forme de l’eau en 2017, classé plutôt du coté du fantastique, Guillermo del Toro nous revient avec un film plutôt du côté du film noir, à l’esthétique rétro baroque comme le réalisateur aime construire souvent. Le travail du décor, splendide mais trop poussé, et le scénario trop tiré en longueur, gâchent les intentions. Dommage. En revanche les acteurs remplissent le contrat.
Par Bernard Cassat
Stan (Bradley Cooper), Lilith (Cate Blanchett) et Molly (Rooney Mara) au moment de leur rencontre.
On est en 1941, les années 40 semblant fétiches pour le réalisateur ! Mais le début du film, l’arrivée dans un cirque du personnage et son apprentissage de ce monde, tire vers la grande dépression. La caméra cherche ses angles et les trouve, suit le personnage de Stanton Carlyle, joué par un brillant Bradley Cooper à qui le rôle va à merveille, alliance de loser magnifique, de hobo, d’arnaqueur et de manipulateur. Son visage renferme tout cela, sa silhouette supporte sans problème le smoking ou les haillons. Le premier tiers du film explore donc ce cirque et ses personnages, dont un Willem Dafoe toujours aussi brillant. Stanton et Molly (Rooney Mara) vont partir en couple faire un numéro de télépathie dans diverses salles avec un succès grandissant, qui les mène à New York. Où ils rencontrent Lilith (Cate Blanchett), une psychologue/psychanalyste avec laquelle Stanton va tenter de mettre sur pied des arnaques psychologiques qui rapportent gros. Après une première réussie, la deuxième va être plus difficile. Et pour honorer son choix de thriller, le scénario ne recule pas devant des trouvailles très noires.
Du dénuement circassien à la richesse tape à l’oeil de New York
Il y a donc deux univers esthétiques. Celui du cirque d’abord, des roulottes plus baroques que réelles, des personnages extrêmes, du nain au géant, des voyantes de pacotille trop maquillées, trop déguisées. Des alcooliques trop saouls, des femmes fatales trop entreprenantes. Tout est trop, les cigarettes, les clichés de fête foraine, les horreurs des monstres, la pluie qui ne cesse d’inonder ces terrains boueux. Dans la suite, à New York, le décor change complètement. La neige remplace la pluie. On navigue dans l’esthétisme de l’entre deux guerres, surtout l’hotel qu’habitent Stan et Molly, et le cabinet de Lilith, tout en art déco très raffiné dans un camaïeu de bruns magnifique, avec engins modernes de 1940 tels qu’on les représente maintenant pour faire avant garde vue de cette époque. Donc là aussi un peu trop, surtout pour un cabinet de psy qui à lui seul fait penser à l’Empire State. Et trop de blondeur platine pour Lilith, qui joue trop de son charme pour monter avec Stan un contrat à la limite de l’insignifiant : elle veut sa vérité en échange d’infos sur ses riches clients. Leur rencontre déroule une psychologie un peu trop de cuisine, spécialité de Stan (tous les développements sur le père, son meurtre initial et compagnie). Mais bon. C’est un jeu… Le but, comme dans tout thriller qui se respecte, c’est les femmes et l’argent.
Stanton et Lilith complotent leur mauvais coups
La deuxième arnaque, celle qui devait rapporter tant, est vraiment trop longue. On s’enferre dans des digressions, on approche le ridicule qui rend l’anecdote trop incroyable, c’est vraiment trop gros. Les ressorts scénaristiques trop faibles craquent et la fin du film s’effondre. Le rebondissement qui tente de boucler le film ne fait que l’enfoncer. A force de trop, on a atteint la surdose.
C’est dommage. Ce film a énormément d’atouts en mains, ne serait ce que le casting formidable. Bradley Cooper tient le rôle du début à la fin, Cate Blanchett se coule merveilleusement dans rôle de femme fatale. Tous les personnages secondaires sont eux aussi à la hauteur, et les choix esthétiques sont intéressants. Guillermo del Toro est un cinéaste né, il doit beaucoup travailler tant ses images précises et ses mouvements de caméra font mouche. Il joue avec le décor, il compose des ambiances fortes, il utilise beaucoup de ressorts visuels, cadrages, perspectives, gros plans (dans une bande verticale lumineuse d’un écran sombre, la main de Lilith qui pose un verre sur du marbre, le bruit, la main de Stan qui s’approche et s’empare du verre). Techniquement, c’est du grand beau cinéma. Mais ça ne suffit pour remplir 2h30.
Nightmare Alley
Réalisation : Guillermo del Toro
Scénario : Guillermo del Toro, Kim Morgan, d’après le livre de William Lindsay Gresham
Interprètes : Badley Cooper, Rooney Mara, Cate Blanchett, Willem Dafoe, Toni Colette
Musique : Nathan Johnson
Directeur photo: Dan Lausten
Photos : Kerry Hayes/2021 20th Century Studios