La psychothérapie institutionnelle est aujourd’hui l’une des meilleures voies de prise en charge des psychotiques sévères, en termes de performance des soins, d’accompagnement et de coûts. Le Dr Jean-Louis Place a bien voulu répondre à nos questions.
Pouvez-vous vous présentez à nos lecteurs ?
Jean-Louis Place : Après avoir été associé au Dr Claude Jeangirard, fondateur de la clinique en 1956, ancien élève de Daumezon et de Henry Ey et figure de la psychiatrie française, je suis médecin directeur depuis 2000. Interne des hôpitaux de Paris en 1987, j’ai longtemps travaillé pour le service public. Après mon cursus d’interne, j’avais l’impression d’être formé mais j’ai pu compléter ma formation en rejoignant la Chesnaie. J’y ai trouvé quelque chose de différent dans la relation avec les patients et les soignants. Il m’a fallu désapprendre une partie de la psychiatrie pour réapprendre autrement. C’était addictif.
Quel est la particularité de cet établissement ?
J-L.P. : La Chesnaie c’est le temps du soin dans un lieu ouvert et actif. C’est un cadre où l’on peut s’investir et participer à sa construction en permanence. Après une formation en sémiologie, on a souvent l’impression de savoir. On est péremptoire. En psychiatrie, il faut au contraire rester humble, dans ce que j’appelle un doute constructif dans l’observation des patients et la manière de les accompagner. Ici, nous avons du temps pour construire une réhabilitation psycho sociale des malades, parfois sur plusieurs années. Nous recherchons des solutions autres que l’hospitalisation complète. Cela donne des résultats convaincants.
D’où viennent vos patients et que mettez-vous en place ?
J-L.P. : Nous avons 101 lits d’hospitalisation, 20 places en hôpital de jour et des lits de nuit. On reçoit dans la quasi-totalité des cas des patients ayant des troubles graves et qui sont adressés par l’hôpital. Notre patientèle est en ce sens assez différente des cliniques privées comme celles de Tours ou d’Orléans qui traitent majoritairement les conduites addictives ou la dépression. Notre projet est de soigner ces malades en milieu ouvert. Il n’y a pas de murs à la Chesnaie. Notre organisation du travail permet aux patients de participer à un panel d’activités importantes : ateliers, tâches hôtelières, restauration… Nous remettons la personne dans le faire. Rien n’est bien sûr imposé mais il est conseillé à chacun de s’engager. Pour certains ce sera 30 minutes, tandis que d’autres, qui se réfugient dans les activités, devront être freinés. C’est une question d’équilibre.
Quelle est la nature de votre relation avec les malades ?
J-L.P. : On dit souvent qu’en psychiatrie, on n’est pas soigné mais on peut se soigner. Nous rendons donc les malades acteurs de leurs soins. Cela passe par parler de soi, la participation aux activités ou la prise de responsabilités dans les associations dans la mesure du possible. Chacun doit bien comprendre que s’il n’est pas responsable de sa maladie, il est responsable de ses soins. Nous passons donc des contrats en ce sens. Les malades savent dans quoi ils s’engagent. Avant de nous rejoindre, ils passent une demi-journée dans la clinique et sont reçus par un médecin. Il n’y a jamais de contrainte. En ce sens, nous sommes complémentaires du service public.
Comment appréhendez-vous la continuité des soins ?
J-L.P. : On essaie de répondre aux demandes des médecins adresseurs en adaptant nos admissions avec le souci de la continuité du parcours thérapeutique. Pour les sorties, nous orientons les personnes vers des structures adaptées. Mais, et c’est un vrai problème, nous manquons de places dans les structures médico sociales publiques (MAS, foyers, résidences). La réduction du nombre de lits est une vraie contrainte. Nous avons du parfois transférer des patients stabilisés en Belgique.
D’un département à l’autre, l’offre est hétérogène. Elle est notamment très insuffisante en région parisienne. On assiste à un détournement des moyens comme le constate le Collectif des 100.000 handicapés psychiatriques à l’abandon. (1) ll n’y a toujours aucune réponse des pouvoirs publics à la question : quoi après l’hôpital psychiatrique autres que les familles, le bénévolat associatif ou des structures alternatives numériquement complètement débordées ?
Comment faire pour déstigmatiser la maladie mentale ?
J-L.P. : La politique du tout inclusion des malades mentaux n’est pas une réponse suffisante. Il faut au contraire redonner du temps pour le soin. Il faut aussi de l’échange avec les familles, les proches, le public qui doivent pouvoir rencontrer les malades et les soignants. A la Chesnaie, nous ouvrons ainsi nos portes de façon adaptée pour des concerts, pour les animations de nos associations comme le Train vert, des séminaires, la Fête de juin, le Feu d’artifice ou la crèche parentale.
Comment voyez-vous l’avenir de la psychiatrie ?
J-L.P. : Le détournement des moyens et la désinstitutionalisation, mise en place sous l’influence de l’OMS, ne sont pas inéluctables. Je suis convaincu que nous allons entamer une nouvelle phase, sortir du tout médicament et revenir à plus d’institution. La prescription médicamenteuse ne suffit pas. Le malade a besoin d’échanges et d’activités pour retrouver confiance et se renarcissiser. Il y a des soubresauts. Tout n’est pas perdu. Je reste optimiste. Il y a un avenir pour le soin dans des structures comme la nôtre ouvertes sur l’extérieur et qui donnent du temps au soin.
(1) Lire aussi sur le sujet « le manifeste pour une psychiatrie artisanale » du Dr Emmanuel Venet (Ed.Verdier).