Le théâtre politique ressemble souvent à une comédie française, talent et ironie en moins. Né il y a exactement 400 ans, le 15 janvier 1622, rue Saint-Honoré à Paris, Jean-Baptiste Poquelin a fréquenté, comme une bonne part de la jeunesse estudiantine européenne d’alors, la faculté de droit d’Orléans jusqu’à l’obtention de sa licence en 1642. On ne sait si ses professeurs ont inspiré les personnages de ses pièces. En revanche, on voit aisément aujourd’hui qui se cacherait derrière « Tartuffe ou l’imposteur » – bien que François Fillon se soit retiré depuis sa veste, probablement à l’issue de son rôle principal dans L’Avare – et si « Dom Juan » a abandonné la présidence de sa fondation environnementale, « le Misanthrope » vitupère de plus bel contre les femmes, les immigrés, les handicapés et tous ceux qui se dressent sur son chemin. Mais l’actualité récente de la campagne nous ramène ces derniers jours vers une autre Malade imaginaire, qui se meurt pourtant : la gauche.
Par Pierre Allorant
Ne m’appelez plus jamais « made in France »
S’il n’est plus temps désormais de sauver le soldat Montebourg, reparti faire son miel et son pèlerinage au Mont-Beuvray, désespéré des Fourberies sa famille tel un personnage de la série Succession, les affaires continuent de se présenter au plus mal pour l’ancien camp du progrès, longtemps porteur des espoirs d’alternance, sans même évoquer le rimbaldien « Changer la vie » des années d’opposition au giscardisme. Dans une impréparation sympathique s’il ne s’agissait d’un scrutin majeur, Christiane Taubira a refermé la trêve des confiseurs pour ajouter sa candidature – au nom de l’unité – à la liste déjà pléthorique du nouveau « manifeste des egos », loin des rêves d’égalité de Gracchus Babeuf.
La malade imaginaire de la politique française.
Et pourtant, même un expert affûté aurait bien du mal à pointer les désaccords ou propositions radicalement nouvelles par rapport au programme dévoilé par Yannick Jadot ou par Anne Hidalgo. Symptomatique de l’impasse présente, aucun candidat n’a jugé bon d’obtenir à peu de frais le soutien de la « dégringolada » made in France, comme si rechercher l’union était devenu déshonorant ou vain. Mais que le bon peuple se rassure, en apothicaire inventif, L’insoumis malgré lui – en tout cas testé « en dépit de son plein gré » par la « primaire populaire » – nous embaume de parfums enchanteurs. De qui se moque-t-on ? Face à ce désastre électoral programmé, pourquoi évoquer une maladie imaginaire, alors qu’elle risque bien d’être fatale au patient – et à ses électeurs qui perdent patience – dans quatre-vingts jours ?
Le tour de soi en 80 jours ou comment perdre une élection à portée de main
De fausse primaire en vrai sondage, avec des revirements tactiques qui brouilleraient l’image de n’importe quel candidat – quel électeur d’Anne Hidalgo sait aujourd’hui s’il doit participer à la « primaire » ou la boycotter ? –, la fumée blanche et les sept nains de la gauche donnent peut-être priorité à la survie de leurs petites boutiques organisationnelles en vue des législatives. Mais ils se trompent, s’ils pensent survivre au nouveau tsunami électoral d’avril et rebondir en juin, voire se replier sur leurs petites prébendes territoriales, l’écologie municipale urbaine et le socialisme régional. Et pourtant, beaucoup de signaux devraient les alerter de la colère qui gronde, témoignage d’une attente : les thématiques qui comptent devraient porter la gauche d’ici le 10 avril.
L’étrange défaite : la nouvelle trahison des clercs
En 2017, les Illusions perdues d’un hobereau de la Sarthe ont ruiné les espérances de la droite à tirer profit du discrédit d’une gauche au pouvoir éreintée par ses divisions. En 2022, une nouvelle « étrange défaite » se profile : le retour de l’inflation porte les revendications sur le pouvoir d’achat, le prix de l’essence dépasse nettement le niveau qui avait enflammé la jacquerie des « Gilets jaunes » ; la pandémie conduit à se réinterroger sur la relation au travail, à sa durée, aux rythmes et au cadre de vie ; chaque semaine, un tsunami aux Tonga ou un record de température alerte sur la réalité brûlante du changement climatique et environnemental ; chaque jour, on déplore l’extension des déserts médicaux, la grande misère des universités, et les libéraux les plus convaincus de la veille, comme Bruno Le Maire, reconnaissent les mérites de l’État-Providence dans la traversée de la crise sans flambée des dépôts de bilan et du chômage. Que faut-il de plus à la gauche pour faire campagne sur son propre terrain ? Mais peut-être l’ignore-t-elle, comme le Bourgeois gentilhomme faisait de la prose sans le savoir ?
En attendant les gauches, ridicules mais précieuses
Faute de tirer à la courte-paille, en l’absence hallucinante de toute procédure de sélection – du temps du Général de Gaulle, de la DS et de l’ORTF, cette « chienlit » aurait été comparée à « Radio-crochet », même les sélections du « Jeu des Mille euros » apparaissent comme un trésor du génie français à côté de ce pataquès, sondage qualitatif qui n’a que l’apparence d’une primaire. Désespérant à la fois Billancourt, passé de Bolloré à Bouygues, d’un milliardaire, l’autre, à l’image d’un média « indépendant », et l’Ecole des fans, l’inconséquence de dirigeants qui ne conduisent plus rien risque bien d’achever d’ulcérer les électeurs de gauche qui, faute de mieux, soit iront vers le moins squelettique (le charmeur de Caracas), soit renoueront, dès le premier tour, avec leur vote purement défensif de 2017, soit puniront les candidats incontinents en s’abstenant, avant de redoubler la punition collective aux législatives. Précieuses ridicules, oui, mais indispensables à la vie démocratique de notre République si l’on veut dépasser les passions tristes des déclinistes de la haine tranquille des autres, puis de soi, nouveaux praticiens de la saignée mortifère. La République a besoin d’une droite et d’une gauche.
À défaut de cet Amour-médecin pour le débat d’idées, elle pourrait bien en mourir sur scène.