Retour sur quelques Soli au CDN d’Orléans

Au CDN d’Orléans, les Soli nous ont rendu visite, pour la quatrième année, même amputés de plusieurs spectacles, Covid cruel ! Ce sont de petits spectacles d’une heure, ou un peu plus, avec un seul acteur, parfois deux, voire aucun comme on le verra. Certains sont en construction, d’autres auraient dû voir le jour depuis quelque temps, mais leur création a été repoussée de mois en mois. Enfin, ils sont là et bien là sur les différents plateaux du théâtre orléanais.

Par Bernard Thinat

Louise Emö photo CDN

« Jeanne et le orange et le désordre », de Louise Emö

En 2020, Simon Vialle était venu nous présenter « Simon et la méduse et le continent », texte de Louise Emö, Simon étant un enfant différent, en avance ou en retard, c’était comme on voulait. J’écrivais à l’époque que « le texte éblouissant de Louise Emö était un petit chef d’œuvre d’intelligence ». En ce mois de janvier, l’autrice nous revient avec un nouveau texte, et l’interprète elle-même sur le plateau. Le titre : « Jeanne et le orange et le désordre ».

Dans le cadre d’un partenariat avec la ville de Saint Jean de Braye, la pièce est donnée dans le théâtre de poche des Longues Allées. Louise Emö débute par une sorte de prologue, remerciant ceux qui l’ont invitée, parlant de sa Compagnie rouennaise, évoquant les trajets en train depuis Paris, affirmant son féminisme en remplaçant les P (père) par des M (mère), c’est plein d’humour, et terminant en s’exclamant : « Nous vaincrons » sans qu’on sache si elle évoque le combat des femmes contre le patriarcat, ou la lutte contre le SARS-Cov 2. Sans doute les deux !

Jeanne est la mère, Simon son fils qui pose plein de questions auxquelles Jeanne veut connaître toutes les réponses. Bientôt, on saura que Simon est mort, obsèques, rencontre avec un artiste, mais toujours et encore retour à Simon comme une obsession. La vie est difficile pour Jeanne, « c’est au pied du mur qu’on voit le mur ». Le texte est d’une beauté envoûtante, absolue, en désordre certes nous dit le titre, des passages en anglais comme pour s’extraire du drame. Retour de la slameuse sur un air folk. C’est magnifique !

Elle était en Avignon l’été dernier avec deux de ses textes qu’elle interprétait, toujours seule en scène.

« Tenir Debout » de Suzanne De Baecque

Jeudi,, Suzanne De Baecque nous présente « Tenir Debout », travail tout juste mis en chantier depuis une semaine. C’est peu. Elève de l’Ecole du nord, associée au CDN de Lille dont le Directeur est David Bobée (on a pu le voir en 2014 à Orléans dans un spectacle très très chaud, « Warm »), elle est partie sur les routes de France à la recherche d’une idée, d’un matériau propre à construire le théâtre. Ses pas l’ont menée en Poitou-Charente où l’on préparait le concours pour l’élection de la Miss régionale. Et s’est inscrite !

Elles sont deux sur le plateau, elle et sa coach. Shampoing, maquillage, cils, coiffure, faut se faire belle, avant de passer à l’apprentissage : marcher en croisant les pieds, entretenir sa forme physique (Suzanne est quelque peu paresseuse), on apprend à se présenter, ses qualités et ses défauts, enfin surtout les premières, savoir sourire, ça finira en pugilat. Dans une seconde partie, Suzanne nous lit un texte, long, autobiographie d’une candidate miss rencontrée par Suzanne, qui lui a raconté sa vie. Contraste fort entre les standards de la beauté féminine exigés lors de ce concours, et le choc ressenti face au cancer et la chimio qui provoque la chute des cheveux.

Projet encore au stade de la recherche qu’on pourra découvrir dans sa forme construite, sinon définitive, en septembre prochain au CDN d’Orléans, quand Suzanne sera devenue artiste associée de ce même CDN. On pourra alors se souvenir de cette soirée de janvier et mesurer le chemin parcouru.

« Pièce sans acteur(s) » de François Gremaud et Victor Lenoble.

Sur le plateau, deux enceintes acoustiques, volumineuses. On pourrait y cacher un acteur, si l’envie nous prenait. Ils sont deux, on n’entendra que leurs voix amplifiées. Leur projet ? Créer une pièce de théâtre sans acteurs, puis en créer une deuxième avec acteurs pour raconter la première, celle sans acteurs. Loufoque ? Pas tant que ça. En cherchant bien, on doit pouvoir trouver dans la société, des lieux, des situations, des moments où les acteurs manquent. Des entreprises sans salariés car tous en télétravail, par exemple. Ou des avions d’une Compagnie allemande qui volent sans passagers pour ne pas perdre leurs créneaux dans les aéroports. Enfin, passons.

Les deux enceintes se répondent, par la voix, mais aussi en musique, ou par les surtitres sur le mur du fond. On essaie avec les notes et les surtitres, puis les notes seules ou les surtitres seuls. Enfin, on revient à la parole. Alors, on imagine le spectacle, on pourrait amener une biche, pourquoi pas. On pense aussi au Faune de Debussy dansé par Nijinski. On bavarde, jusqu’à la panne de courant. On s’apercevra alors que l’absence d’acteurs sur la plateau ne nuit aucunement au spectacle. In fine, on recommence au début. Quant au spectateur, son œil ira d’une enceinte à l’autre, là d’où provient le son. Etonnant, ce réflexe !

« La Dimension d’après », de Tsirihaka Harrivel

Tsirihaka Harrivel photo CDN

En avril 2018, le CDN avait programmé « Grande », spectacle exceptionnel où Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel enchantèrent le public. Quelques mois auparavant, Tsirihaka Harrivel chuta de 8 mètres, le jean auquel il s’accrochait ayant cédé. Plus de peur que de mal. C’est en partant de cette chute que les deux artistes ont imaginé « La Dimension d’après », interprété sur le plateau par celui qui a chuté, en solo.

Pendant les quelques dixièmes de secondes que dure la chute, à quoi peut penser l’artiste, que peut-il imaginer, quelles idées traversent son esprit ? « La Dimension d’après », c’est un peu tout ça, et même autre chose…

A droite, un mannequin-robot sert de présentateur. Deux portes en fond de scène dont une pour les secours (Cf. la chute). Plusieurs structures qui se relèvent pour frapper (nouvelle référence à la chute). Et au centre, des tables de mixage, son, lumières et vidéos, que l’artiste utilise à de nombreuses reprises. Voilà pour le plateau !

« La Dimension d’après » est un spectacle d’une très grande densité, proposant une dizaine d’états survenus au cours de la chute de l’artiste. Si les premiers font référence à cette chute, les suivants s’en écartent pour nous faire pénétrer dans un univers où tout est sujet à interprétations multiples, sorte de labyrinthe où les sorties de secours n’en sont pas, où le pantin désarticulé soutient l’artiste à moins que ce ne soit le contraire (magnifique chorégraphie), où le spectateur a tendance à se perdre dans un dédale sonore et visuel, où les trouvailles scéniques succèdent les unes aux autres.

Avec sa comparse Vimala Pons, dans une sorte de diptyque où les rôles sont inversés comme si la chute avait provoqué la séparation tout en maintenant les deux artistes associés dans un même projet, ils ont créé « le Périmètre de Denver » interprété par Vimala, deux spectacles pile et face, que l’on pourra retrouver au Centre Pompidou ainsi qu’au 104 à Paris en février prochain.

Et pour terminer, le cinéma des Carmes projetait en avant première, le film de science-fiction « After Blue », signé Bertrand Mandico, où Vimala Pons interprète un rôle des plus troubles, sur une planète où seules les femmes survivent. Il faut bien, dans nos sociétés historiquement patriarcales, que les femmes aient le dernier mot. Prix de la critique internationale au festival de Locarno en 2021.

CDN Orléans

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