Little Palestine : l’horreur de l’Histoire filmée en direct

Filmé par un jeune habitant, en Syrie, le siège du camp de Yarmouk par l’armée fidèle à Bachar témoigne de l’enfer qu’ont vécu les habitants. Les faits ont voulu qu’il soit monté quelques années après les événements. Ce document devient un film terriblement émouvant par l’acuité du regard, son intelligence, sa tendresse et sa volonté farouche à défendre la vie en filmant l’horreur vécue par cette ville entière.

Par Bernard Cassat

La population palestinienne de Yarmouk criant sa colère en se dirigeant vers un chek-point pour avoir de la nourriture.

Yarmouk est une ville proche de Damas. Construite dans les années 50 par des Palestiniens réfugiés en Syrie, cette ville a bien sûr vécu au rythme des conflits israélo-palestiniens et tous les courants intra-palestiniens s’y sont côtoyés, parfois affrontés. Lorsque éclate la guerre civile syrienne en 2011, la majorité des Palestiniens prennent fait et cause pour les forces de l’Armée Syrienne Libre. Mais la plupart des 180000 habitants s’enfuient. Il ne reste que moins de 20000 personnes que les troupes de Bachar vont cantonner dans Yarmouk fermé sans leur apporter la moindre nourriture, ni eau ni médicaments. Commence alors pour les assiégés, de 2013 à 2015, un enfer concentrationnaire. Près de deux cents personnes meurent de faim.

Pendant ces deux années, Abdallah Al-Khatib, étudiant en sociologie et humanitaire de l’ONU, a récupéré la caméra d’un de ses amis tué par l’armée syrienne. Il a commencé à filmer ce qui se passait autour de lui, à interroger des gens, beaucoup d’enfants puisqu’il travaillait dans le Centre de soutient à la jeunesse. Pendant deux ans, il n’a cessé de tourner des petits moments. Parfois, il prêtait sa caméra à des amis, c’est pourquoi on le voit dans certaines séquences.

Yarmouk bascule dans un deuxième enfer lorsqu’en 2015, les forces de l’Etat Islamique l’occupent. Puis en 2018, l’armée de Bachar bombarde le camp et laisse s’enfuir l’EI dans le désert. Tout est démoli, et il ne reste que 6000 personnes. Abdallah réussit à émigrer en Allemagne. C’est alors qu’il rassemble tous les bouts de films qu’il avait confié à plein d’amis pour tenter de les sauver. A partir de cela, il monte le film qui sort maintenant, huit années après les faits.

A la fois un document historique et un film bouleversant

C’est un document plus qu’un documentaire. L’objet des images, du montage des séquences, n’est pas d’expliquer, mais de montrer. Un témoignage absolument bouleversant, filmé avec une intelligence innée de la puissance du médium. Cette séquence où l’image s’attarde sur un homme assis dans la rue, épuisé, qui tente de faire sortir la dernière goutte de thé de son verre, puis qui somnole a moitié comme s’il était déjà de l’autre coté de la vie. Ou ces deux femmes qui récupèrent dans un tas d’ordure quelques traces de farine (?) dans un bocal immonde. N’ayant plus d’eau, les gens sont encore plus crasseux que nos SDF. La mère d’Abdallah, infirmière, veut à un moment tester le diabète d’une vielle femme. Elle lui nettoie le bout du doigt et on s’aperçoit que cette femme est quasi noire de crasse ! Ce qui n’empêche pas la beauté de certaines images, presque leur poésie, comme Yarmouk sous une tempête de neige aux flocons drus.

Une jeune fille grapille quelques brins de mouron pour la soupe.

Toutes les séquences pourraient être citées. Elles sont de natures différentes ; certaines, avec des enfants, plus légères, les interrogent sur leurs envies sans oser demander leurs espérances. Mais ce qui fait de ce document un vrai film, c’est la tendresse qui sous-tend le regard d’Abdallah. Une fille d’une dizaine d’années coupe des brins de mouron dans un espace vert. Elle va les ramener chez elle pour une soupe. Un obus tombe sur l’immeuble juste derrière et cette petite fille, très adulte, reste imperturbable, sourit, répond calmement et intelligemment. Scène sans excès d’émotion et pourtant tout y est. Car ce document, vécu de l’intérieur par celui, ceux qui tenaient la caméra, est aux antipodes du sensationalisme. La finesse du regard à la fois douloureux, meurtri mais empatique fait de ces images un témoignage d’une puissance inouïe sur cet enfer qu’ils ont vécu. Surtout quand on sait que rien n’est réglé, que des millions de réfugiés vivent encore dans des conditions semblables !

Little Palestine

Abdallah Al-Khatib

Photos Bidayyat For Audiovisual Arts

Commentaires

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  1. Dans ce film les anciens rêvent d’un retour improbable en terre natale se résumant par un détournement de la chanson éponyme My Darling Clementine du film de John Ford, les jeunes adultes rêvent de partir vers le pseudo Eldorado de l’Europe, et les plus jeunes, très pragmatiques et sans illusions, rêvent de nourriture abondante et voudraient tout simplement que “le camp redevienne comme avant”. Tout est dit. Le seul horizon d’une population hors sol, chichement assistée par l’UNRWA, est celui d’une vie de camp au fil des générations.

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