Une jeune fille qui va bien. Le premier long-métrage de Sandrine Kiberlain est l’une des bonnes surprises de la toile en ce début 2022. La comédienne qui cette fois est passée derrière la caméra livre au public ce mercredi 26 janvier une oeuvre très personnelle et touchante sur la vie quotidienne d’une jeune juive alors que l’antisémitisme en France.
par Sophie Deschamps
Bien sûr, il ne faut pas se fier au titre Une jeune fille qui va bien. Pourtant, Sandrine Kiberlain ne pouvait pas trouver mieux pour son premier film. Elle y relate en effet le quotidien insouciant d’Irène, une jeune parisienne juive de 19 ans, passionnée de théâtre et qui vit ses premiers émois amoureux. Jusqu’ici rien que de très banal à un détail près : nous sommes au début de l’été 1942, juste avant l’impensable rafle du Vel d’Hiv. D’où le partenariat avec le Cercil Musée-Mémorial des enfants du Vel d’Hiv lors de sa projection le 10 janvier 2022 aux Carmes à Orléans, en avant-première.
Un hommage à ses quatre grands-parents juifs polonais
Présenté à la Semaine internationale de la critique à Cannes en mai 2021, ce film est inspiré de l’histoire personnelle de Sandrine Kiberlain. En effet, ses quatre grands-parents juifs polonais sont venus en France en 1933 alors que les autres membres de la famille restés sur place sont morts en 1939. À propos de la Shoah, elle expliquait le 27 mai 2017 dans un article du Monde : « C’est en moi, c’est quelque chose que je trimballe dans mon sang, dans mes veines, dans mon cœur, sans que mes grands-parents aient eu besoin d’en parler toutes les quatre minutes. Au contraire. Ils étaient en France pour construire, donner à leurs enfants l’éducation la plus belle qui soit. (…) Du côté paternel, il y avait une culpabilité très ashkénaze de la réussite. Ils avaient été sauvés, ils allaient le payer un jour.(…) Côté maternel, c’était l’inverse. Une envie de réussir et d’en profiter. »
Irène, c’est aussi le double de Sandrine Kiberlain qui en profite aussi pour rendre hommage à sa grand-mère maternelle, toujours en mai 2017 : « Ma grand-mère maternelle était mon idole, elle avait une force innée, un humour ! Pendant la guerre, quand son mari lui a dit qu’il devait se présenter à la mairie, elle a eu le flair de l’en empêcher. Elle avait beaucoup d’instinct, d’esprit, elle était extrêmement moderne. » Une aïeule magnifiquement interprétée par Françoise Widhoff, productrice, monteuse et compagne du cinéaste Alain Cavalier. Sandrine Kiberlain avait pensé au départ à l’écrivaine et cinéaste Marceline Loridan-Ivans, déportée par le même convoi que Simone Veil pour ce rôle mais elle nous a malheureusement quittée en septembre 2018. Du coup, la grand-mère du film s’appelle Marceline.
Des interprètes formidables
La jeune cinéaste a aussi su s’entourer d’actrices et d’acteurs formidables à commencer par Rebecca Marder, pensionnaire de la Comédie-Française. Elle nous offre une Irène sensible et lumineuse qui profite joyeusement de la vie et de chaque instant. André Marcon interprète lui un père pudique, attentif à ses enfants mais dépassé par la situation. Sans oublier Ben Attal, le fils de Charlotte Gainsbourg et Yvan Attal qui donne une belle et brève présence à un jeune camarade d’Irène.
Un film inspiré aussi du journal d’Hélène Berr
Autre source d’inspiration, le journal d’Hélène Berr, écrit par une jeune étudiante juive parisienne entre février 1942 et avril 1944. Elle mourra à 24 ans au camp de Bergen-Belsen. On imagine évidemment un sort aussi funeste pour Irène. Car le film montre par petites touches les premières manifestations de l’antisémitisme. Ce sont subitement les regards hostiles. C’est l’étoile jaune qui apparaît sur les manteaux. C’est aussi cette boulangère de quartier qui déclare subitement à Marceline que tout le pain est vendu alors que les baguettes sont bien alignées derrière elle et que les autres clients regardent ailleurs.
Mais c’est aussi heureusement la solidarité des camarades de théâtre d’Irène qui l’entourent d’une amitié sans faille. Nous, nous savons bien qu’elle va tout perdre à cause de la folie d’un homme qui fait déjà régner la terreur Outre-Rhin. C’est ce qui rend ce film poignant. Et nous aurions tort évidemment de croire que l’intolérance et le racisme ont disparu de nos contrées, y compris en France avec deux candidats d’extrême-droite à l’élection présidentielle.